15 mars 2007

Festival de la Françafrique à Cannes

Les 15 et 16 février, s’est tenu à Cannes le 24ème sommet Afrique-France (officiellement, on ne dit plus France-Afrique, pour éviter le jeu de mot facile « France à fric »...). 40 chefs d’Etat étaient réunis, au premier rang desquels les fidèles de la Françafrique : les Sassou Nguesso (Congo), Biya (Cameroun), Bongo (Gabon), Deby (Tchad), Guelleh (Djibouti), Bozizé (Centrafrique) et autres dictateurs installés ou maintenus au pouvoir grâce aux vertus très peu démocratiques de l’armée française. Le président Djiboutien a même été convoqué (comme témoin) dans l’affaire du « suicide » du juge Borrel, toujours couverte par le secret défense, mais le ministère de la justice a fort heureusement rappelé à l’ordre l’impertinente juge d’instruction Sophie Clément, priée de ne pas perturber la visite touristique d’Omar Guelleh sur la Côte d’Azur.
On comptait également quelques criminels hors « pré carré ». Si Mugabe (Zimbabwe) n’a pas été invité, pour ne pas froisser Tony Blair, Omar El Béchir (Soudan) était présent, et a même signé un nouvel accord en trompe l’œil avec le Tchad. Une signature dont le seul intérêt est de faire oublier l’épuration ethnique au Darfour pratiquée par un régime courtisée par les entreprises françaises. En revanche, absence remarquée de Kagame (les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda sont rompues depuis les manœuvres du juge Bruguière), de Ggagbo (dont le fond de commerce politique repose sur une opposition – très virtuelle – à la Françafrique) et de Thabo Mbeki (qui a estimé qu’il avait plus urgent à faire en Afrique du Sud).
Dernière grand messe africaine d’un Président en fin de mandat, le sommet a alimenté les médias sur le thème du bilan des années Chirac. De manière étonnante, l’Afrique a même fait partie des 15 thèmes les plus traités par les journaux télévisés du 20h au mois de février. Bien sûr, très peu de journalistes se sont risqués à un bilan honnête de plus de quarante ans de coopération française désastreuse pour les populations africaines. A l’exception de L’Humanité ou de la presse militante, on a au contraire vu refleurir les clichés habituels sur « Chirac l’Africain », « avocat » du continent noir, renforcés encore par les confessions recueillies par le « journaliste » Pierre Péan. On y apprend entre autre que Chirac aurait été militant de l’ANC et que rien ne l’indigne plus que le pillage de l’Afrique. Défense de rire… Autre thème martelé : Chirac emportera la Françafrique (tiens ! elle existe donc encore ?) avec lui. Comme si l’impérialisme français en Afrique reposait sur la volonté d’un seul homme, et ne devait rien aux intérêts économiques, au fonctionnement de la Vème République et au rôle joué par l’armée française en Afrique.
Les articles les plus impertinents ont finalement été écrits par des journalistes africains issus des pays sous tutelle françafricaine, en dépit des risques de représailles encourus. Ce sont également les seuls à avoir traité correctement des divers rendez-vous co-organisés à l’initiative de l’association Survie : un forum associatif le 11 février, un colloque international pour une autre politique africaine de la France les 12 et 13 février, clôturé par une manifestation à Paris qui a rassemblé près de 3000 militants français et africains. Si le colloque avait le mérite de vouloir dépasser le simple constat sur la Françafrique et de promouvoir des réponses alternatives, on peut en revanche regretter, de la part de certaines ONG comme le CRID, un discours plutôt modéré. Volonté de voire des propositions « réalistes » intégrées dans les programmes électoraux de la gauche « raisonnable » ? La table ronde sur la coopération décentralisée, animée notamment par une élue socialiste, a également été un beau moment de langue de bois. La semaine s’est achevée par un rassemblement à Cannes strictement encadré par les force de l’ordre : interdiction de manifester, ou d’arborer des tee-shirts sur la françafrique ! Ça n’a pas empêché les organisateurs de remettre leur palmarès de la Françafrique : Prix du meilleur film de guerre pour Idriss Deby, Prix de la meilleures société de production pour Total, Menottes d’or pour Sassou Nguesso, ou encore Prix du scénario catastrophe pour Lansana Conté. Et bien sûr Palme d’Or pour Jacques Chirac.
Rémy Gration

15 mars 07