Premier groupe mondial de pharmacie, le laboratoire Pfizer est mis en accusation, suite à l’expérimentation sur des enfants d’un nouveau médicament.
En pleine épidémie de méningite, en avril 1996, Pfizer dépêche une équipe de soignants à l’hôpital de Kano, dans le nord du Nigeria, pour combattre la maladie. En fait d’action humanitaire, le laboratoire veut expérimenter les effets d’une nouvelle de ses molécules, la trovafloxacine. Cette molécule fait partie de la famille des fluoroquinolones qui ne doivent pas être utilisées pour les enfants car elles s’attaquent aux cartilages de croissance et peuvent développer des nécroses.
Suite à ces essais cliniques, onze enfants sont morts et d’autres ont de graves séquelles : paralysie, dommages cérébraux, troubles de la parole, etc.
Le trust se défend : pour lui, l’expérience s’est déroulée « de manière éthique et responsable ». Le rapport de la commission d’enquête, composée de spécialistes nigérians, a été enterré par les autorités du pays, mais diffusé par le Washington Post du 3 mai 2006. Il confirme qu’il n’y a aucune trace écrite de l’accord des autorités du pays et des parents pour cette expérimentation. Pire, l’accord écrit du comité éthique de l’hôpital de Kano, sur lequel s’appuie le laboratoire, était antidaté.
Lors d’une période de forte épidémie, la priorité n’est pas de faire des expériences médicales mais de soigner, d’autant qu’il existe de nombreux antibiotiques efficaces pour lutter contre la méningite. À moins que l’on cherche à profiter de l’affluence de patients et de la désorganisation qui en découle dans les hôpitaux avec, hélas, de nombreux morts.
Depuis longtemps, apparaît régulièrement ce qu’on appelle la « ceinture africaine de la méningite », partant de la Guinée et traversant le continent jusqu’à Djibouti. Face à cette situation, la vraie réponse serait la vaccination massive et systématique des populations, même si elle ne constitue pas une couverture absolue pour les enfants. En effet, les vaccins polysaccharidiques ne développent pas une immunité totale contre les bactéries causant la méningite, quant à ceux appelés vaccins conjugués, ils ne couvrent pas l’ensemble des bactéries. Malgré cette réserve, cette politique de prévention permettrait toutefois de sauver des dizaines de milliers de vies. Le Nigeria, pourtant premier pays exportateur de pétrole de l’Afrique, ne réserve, dans son budget, que 16 dollars US par habitant pour la santé (à titre de comparaison, pour la France il est de 2 382 euros !) et l’espérance de vie n’y atteint que 46 ans. Pillages des ressources, corruption des dirigeants, dettes illégitimes expliquent ces résultats dramatiques pour la population.
Les impérialismes, en premier lieu le nôtre, sont responsables de la situation de délabrement dans laquelle se débattent les pays africains. Ils permettent aux grandes sociétés de faire tout et n’importe quoi : qu’on se souvienne des déchets toxiques déversés à Abidjan par le cargo Probo-Koala, affrété par la multinationale Trafi¬guera, ou encore des déchets radioactifs issus des mines d’uranium, stockés en pleine ville, et exploitées par le français Areva au Niger.
Les expérimentations médicales faites par les multinationales doivent être strictement interdites dans les pays dominés qui n’ont pas les possibilités matérielles de vérifier ces opérations. Les conséquences de cette affaire se révèlent désastreuses. Ainsi, poussées par les autorités musulmanes de l’État de Kano et d’un autre État du nord, le Zamfara, les populations sont réticentes à se faire vacciner, retardant grandement l’éradication de la polio qui se propage dans le nord du pays.
Avec le document de la commission d’enquête nigériane, désormais public, les familles des victimes peuvent aujourd’hui intenter un procès au trust pharmaceutique Pfizer dont le slogan est « Œuvrons pour un monde en meilleure santé ». Évidemment, dans leur conception, il s’agit d’un monde... de profit.
Paul Martial