Ces manifestations traduisent les difficultés grandissantes de la population pour survivre. Sur les marchés, le seau de cinq kilos d’arachide est passé de 1400 à 2000 FCFA, la tasse de sel coûte 50 FCFA alors qu’auparavant pour ce prix on pouvait en avoir trois, le kilo de farine passe de 350 à 500 FCFA et le kilo de lait en poudre passe de 2000 à 3300 FCFA ; bref, pour la plus grande majorité de la population les produits de première nécessité deviennent des denrées de luxe. Seuls les dirigeants du Parti présidentiel, le RDPC, voient dans ces manifestations un « complot ourdi par l’opposition de la diaspora camerounaise à l’étranger ! », comme l’a déclaré sur RFI, le 12 mars 08, Charles Etoundi membre du comité central de ce Parti.
Les difficultés économiques vécues par la population contrastent avec la richesse des dirigeants du pays qui s’étale insolemment au grand jour. Richesse provenant de la corruption installée comme mode de gouvernement. En effet les caciques du pouvoir organisent des sociétés para-étatiques qui permettent le détournement d’argent. C’est le cas, par exemple, de la SIC (société immobilière du Cameroun) où plus de trois milliards de FCFA ont été détournés. De la CNPS (Caisse nationale de prévoyance sociale du Cameroun) où près de 80 milliards de FCFA ont disparu et pour lesquels d’ailleurs, la SGBC (filiale à 58% de la Société générale) est mise en examen. Enfin, on peut citer le cas du FEICOM, chargé de financer les infrastructures des villes, qui a connu dans les années 2002 des malversations qui se chiffrent à plus de 25 milliards de FCFA. C’est ainsi que le Cameroun, en 2007, a été classé par l’organisation Tranparency International 138e sur 180 !
Tout cela rend encore plus intolérable le fait que Paul Biya, au pouvoir depuis 1982 à coups d’élections truquées (que seule la France s’est empressée d’entériner), tente de modifier la Constitution lui permettant de rester au pouvoir à vie, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Cette question devient centrale dans la vie politique du Cameroun et la lutte contre la modification de la Constitution devient le point de convergence de la lutte contre Biya, à tel point que ce dernier se voit obligé d’interdire meeting et manifestations de l’opposition depuis le début de l’année.
Les luttes de fin février ont fait apparaître une combativité de la population et plus particulièrement des jeunes qui ont bravé la répression menée par les forces de l’ordre. Si la plupart des médias s’est focalisée sur des scènes de destructions ou de pillages, l’essentiel est ailleurs, car dans ces luttes et manifestions sont apparues des phénomènes d’auto-organisation. Mêmes s’ils sont encore embryonnaires, ce sont des acquis importants pour le futur des luttes au Cameroun.
Le véritable enjeu est bien celui de la construction d’un mouvement de masse se dotant d’organisations, enracinées dans les quartiers populaires, alliant les questions sociales de la vie chère, du chômage et les questions politiques contre la modification de la Constitution et le départ de Biya. En France notre solidarité doit être entière et active, elle est un élément non négligeable de la lutte, car le gouvernement français reste encore un des meilleurs soutiens du pouvoir répressif et corrompu du Cameroun.
Paul Martial