Poussée sur le devant de la scène, l'extrême gauche paie le prix de son engagement contre la guerre en Irak et fait face au premier procès politique contre la gauche depuis 1984.
La guerre lancée par les Etats-Unis contre l'Irak en mars dernier a clarifié la situation politique en Egypte. Le pouvoir s'est ainsi retrouvé dans une situation encore plus inconfortable et ambiguë, coincé entre sa fidélité aux Etats-Unis et l'anti-américanisme de la population épuisée par le chômage et l'inflation galopante. Et rien ne s'arrangera dans les mois à venir : le FMI négocie actuellement avec le gouvernement la hausse du prix de l'essence.
Mais la guerre a surtout mis à jour l'étendue de l'opposition. Le "non" à la croisade contre l'Irak a été massif dans la rue (des dizaines de milliers de manifestants les 20 et 21 mars au Caire, voir Rouge du 3 avril) et a également mis l'accent sur le potentiel de la gauche. La gauche égyptienne joue déjà un rôle plus important depuis le renouveau du mouvement de solidarité avec l'Intifada en septembre 2000 : création du Comité populaire de soutien à l'Intifada, lancement du Groupe égyptien contre la mondialisation, impulsion des collectifs antiguerre, entre autres. Ces initiatives ont constitué un petit élan prometteur pour le mouvement social. Et, le 20 mars, ces militants ont enfin réussi à être en osmose avec la rue.
L'extrême gauche paie aujourd'hui son engagement dans l'organisation de ces journées. Un procès politique a été lancé il y a près d'un mois contre cinq militants, accusés de "diffusion de propagande provocante", d'"envoi d'informations concernant les atteintes aux droits de l'Homme en Egypte aux organisations internationales des droits de l'Homme", et d'appartenance à une organisation "basée sur le communisme extrémiste" (les Socialistes révolutionnaires), "illégale et appelant au renversement du pouvoir". L'un des cinq accusés, Achraf Ibrahim, ingénieur, est maintenu en détention depuis le 19 avril dernier. Les quatre autres militants se cachent en attendant le procès, prévu pour le 16 décembre.
D'ici là, un comité de défense s'est constitué, rassemblant des avocats de tous les courants politiques. L'annonce du procès a provoqué une vague de protestations et de sarcasmes dans la presse et dans les rangs de l'ensemble de l'opposition. L'accusation est très mauvaise en effet d'un point de vue juridique (on reproche à cinq jeunes militants, trois "dirigeants" et deux "militants de base", de vouloir renverser à eux seuls l'Etat) et politiquement très malhabile : il était effectivement impossible d'imaginer plus belle publicité pour les Socialistes révolutionnaires, organisation clandestine, dont le nom est soudain cité dans tous les journaux. D'autant plus malhabile que la guerre contre l'Irak a donné à la question démocratique une actualité brûlante.
Aujourd'hui, la rue en Egypte dit : "si on ne fait rien on va finir comme l'Irak et Moubarak comme Saddam." Car le ras-le-bol populaire est dû aussi à plus de vingt ans d'ère Moubarak, avec plus de 16 000 prisonniers politiques. L'Egypte figure sur la liste noire des dix pays portant le plus atteinte aux droits de l'Homme. D'où l'exaspération générale face aux apparitions calculées de Moubarak junior (Gamal) se préparant déjà à succéder au père. Trop c'est trop.
Le Comité populaire de soutien à l'Intifada vient de lancer une campagne unitaire sur le thème : "Loi d'urgence, ça suffit !" Objectif : soutien aux cinq accusés et activités pour l'abrogation de la loi d'urgence en place depuis 1981, justifiant l'arsenal répressif, des tribunaux d'exception aux arrestations massives, de la torture dans les postes de police à l'interdiction de toute expression associative, politique ou syndicale réellement indépendante.
Etouffée par des décennies de dictature politique, la société égyptienne ne pourra jouer son rôle dans la lutte contre l'impérialisme étatsunien dans la région qu'à condition qu'elle se confronte en même temps à ses despotes incompétents.
Du Caire, Layla Badawi
Rouge 2030 11/09/2003
La guerre lancée par les Etats-Unis contre l'Irak en mars dernier a clarifié la situation politique en Egypte. Le pouvoir s'est ainsi retrouvé dans une situation encore plus inconfortable et ambiguë, coincé entre sa fidélité aux Etats-Unis et l'anti-américanisme de la population épuisée par le chômage et l'inflation galopante. Et rien ne s'arrangera dans les mois à venir : le FMI négocie actuellement avec le gouvernement la hausse du prix de l'essence.
Mais la guerre a surtout mis à jour l'étendue de l'opposition. Le "non" à la croisade contre l'Irak a été massif dans la rue (des dizaines de milliers de manifestants les 20 et 21 mars au Caire, voir Rouge du 3 avril) et a également mis l'accent sur le potentiel de la gauche. La gauche égyptienne joue déjà un rôle plus important depuis le renouveau du mouvement de solidarité avec l'Intifada en septembre 2000 : création du Comité populaire de soutien à l'Intifada, lancement du Groupe égyptien contre la mondialisation, impulsion des collectifs antiguerre, entre autres. Ces initiatives ont constitué un petit élan prometteur pour le mouvement social. Et, le 20 mars, ces militants ont enfin réussi à être en osmose avec la rue.
L'extrême gauche paie aujourd'hui son engagement dans l'organisation de ces journées. Un procès politique a été lancé il y a près d'un mois contre cinq militants, accusés de "diffusion de propagande provocante", d'"envoi d'informations concernant les atteintes aux droits de l'Homme en Egypte aux organisations internationales des droits de l'Homme", et d'appartenance à une organisation "basée sur le communisme extrémiste" (les Socialistes révolutionnaires), "illégale et appelant au renversement du pouvoir". L'un des cinq accusés, Achraf Ibrahim, ingénieur, est maintenu en détention depuis le 19 avril dernier. Les quatre autres militants se cachent en attendant le procès, prévu pour le 16 décembre.
D'ici là, un comité de défense s'est constitué, rassemblant des avocats de tous les courants politiques. L'annonce du procès a provoqué une vague de protestations et de sarcasmes dans la presse et dans les rangs de l'ensemble de l'opposition. L'accusation est très mauvaise en effet d'un point de vue juridique (on reproche à cinq jeunes militants, trois "dirigeants" et deux "militants de base", de vouloir renverser à eux seuls l'Etat) et politiquement très malhabile : il était effectivement impossible d'imaginer plus belle publicité pour les Socialistes révolutionnaires, organisation clandestine, dont le nom est soudain cité dans tous les journaux. D'autant plus malhabile que la guerre contre l'Irak a donné à la question démocratique une actualité brûlante.
Aujourd'hui, la rue en Egypte dit : "si on ne fait rien on va finir comme l'Irak et Moubarak comme Saddam." Car le ras-le-bol populaire est dû aussi à plus de vingt ans d'ère Moubarak, avec plus de 16 000 prisonniers politiques. L'Egypte figure sur la liste noire des dix pays portant le plus atteinte aux droits de l'Homme. D'où l'exaspération générale face aux apparitions calculées de Moubarak junior (Gamal) se préparant déjà à succéder au père. Trop c'est trop.
Le Comité populaire de soutien à l'Intifada vient de lancer une campagne unitaire sur le thème : "Loi d'urgence, ça suffit !" Objectif : soutien aux cinq accusés et activités pour l'abrogation de la loi d'urgence en place depuis 1981, justifiant l'arsenal répressif, des tribunaux d'exception aux arrestations massives, de la torture dans les postes de police à l'interdiction de toute expression associative, politique ou syndicale réellement indépendante.
Etouffée par des décennies de dictature politique, la société égyptienne ne pourra jouer son rôle dans la lutte contre l'impérialisme étatsunien dans la région qu'à condition qu'elle se confronte en même temps à ses despotes incompétents.
Du Caire, Layla Badawi
Rouge 2030 11/09/2003