Samedi 6 novembre, les Forces armées nationales ivoirienes ont mené un raid contre un camp où étaient regroupées des unités françaises de l’opération « Licorne », à Bouaké, en zone rebelle, faisant neuf morts et une vingtaine de blessés. En représailles, l’armée française a détruit la flotte aérienne militaire ivoirienne, suscitant en retour des violences contre les ressortissants français d’Abidjan. La paix armée entre les Forces armées nationales de Côte-d’Ivoire (Fanci) et la rébellion des Forces nouvelles a été rompue par les raids aériens des Fanci contre Bouaké, Korhogo et d’autres villes sous le contrôle de la rébellion, engagés le 4 novembre. Des attaques ayant causé une dizaine de morts et des dizaines de blessés parmi les civils ivoiriens, selon les rebelles. Tel est l’aboutissement logique de la tension provoquée par le refus des forces antigouvernementales de respecter la date butoir du désarmement, fixée au 15 octobre par les derniers pourparlers d’Accra au Ghana. Une attitude qui a conforté dans leurs positions les partisans du président ivoirien, Laurent Gbagbo. Critiques, dès leur signature en 2003, des accords de Linas-Marcoussis, presque imposés à la fraction Gbagbo par le gouvernement français soutenu par la « communauté internationale », ces derniers n’ont cessé de considérer le processus dit de réconciliation nationale comme une entreprise de fragilisation du pouvoir en place. L’actuel président de l’Assemblé nationale ivoirienne avait qualifié de coup d’état contre Gbagbo le contenu des accords. Les pouvoirs du président y avaient été réduits par le partage du pouvoir au sein d’un gouvernement de réconciliation nationale, composé des différents protagonistes - civils et armés - de la scène politique ivoirienne. Surtout, l’institution d’un exécutif bicéphale, avec à sa tête le Premier ministre Seydou Diarra avait été considéré comme un gage donné à l’opposition civile et armée et non comme un compromis entre les parties belligérantes. Ainsi, l’application desdits accords n’a-t-elle jamais été effective. Le processus dit de réconciliation n’a cessé d’être conflictuel, ponctué de crises gouvernementales et de violences meurtrières provoquées par les deux parties. Le refus, par les Forces nouvelles, de procéder à leur désarmement, a rendu caducs les accords de Linas-Marcoussis et d’Accra et il a permis au parti de Laurent Gbabgo de demander la démission du Premier ministre, justifiant l’option militaire préparée par les Fanci durant la trêve relative. Si, dans leur sortie aérienne du 6 novembre, les Fanci ont également tiré sur les soldats français de l’opération « Licorne » (au nombre de 4 500), c’est qu’à leurs yeux la mission des Nations unies en Côte-d’Ivoire, vertébrée par « Licorne », représente surtout un bouclier pour les Forces nouvelles. Les relations entre ces dernières et certains intérêts impérialistes français (40 % de l’économie dite ivoirienne ainsi que des secteurs stratégiques appartiennent au capital français) tels que les relaient des régimes voisins - tel celui de Blaise Compaoré, au Burkina-Faso - sont avérés. De ce point de vue, le soutien apporté par le Conseil de sécurité de l’ONU et les états de la Françafrique aux représailles menées par l’armée française - qui en a profité pour acheminer encore 300 soldats, parmi les milliers prépositionnés dans ses bases d’Afrique, et du matériel de guerre - ne peut qu’apporter de l’eau au moulin des partisans de Gbagbo, lesquels considèrent que la Côte-d’Ivoire se trouve sous occupation étrangère. Certes, Laurent Gbagbo n’est ni un démocrate ni un opposant au néocolonialisme. Il veut favoriser sa fraction politique, se considérant lésé dans ses prérogatives oligarchiques. Mais cela ne légitime nullement la présence des troupes françaises en Côte-d’Ivoire. Celle-ci ne peut s’expliquer que par la solidarité entre membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Les intérêts historiques de la France en Côte-d’Ivoire, ses rapports avérés avec certains protagonistes de la crise ivoirienne devraient, si l’ONU avait quelque bon sens, empêcher sa participation militaire, au demeurant lorsqu’elle est déterminante, au processus de paix en Côte-d’Ivoire. Elle ne peut, en effet, être en même temps arbitre et partie prenante au conflit, voire instigatrice de ce dernier. Les troupes impérialistes françaises doivent quitter la Côte-d’Ivoire. Ce n’est pas la condition suffisante. Mais c’est l’une des conditions nécessaires à la résolution du conflit. Il revient aux Ivoiriens et à certaines institutions africaines éprises de paix de mettre un terme à cette guerre. Par ailleurs, la dégradation de la situation sociale favorisant aussi cette guerre, une véritable paix durable ne peut voir le jour sans que cesse la politique néolibérale et sans que les couches exploitées et opprimées opèrent une véritable rupture démocratique avec le néocolonialisme.
Jean Nanga
2004-11-11
Jean Nanga
2004-11-11