Durant la campagne, les "affaires" continuent... Au point, probablement, de déterminer l'électorat, au moment où il choisira le prochain locataire de l'Elysée. Si toutes les formations parlementaires s'avèrent touchées par ce maelström, le président en exercice détient incontestablement le record des mises en cause personnelles. Et tant de turpitudes étalées finissent par mettre à nu le fonctionnement véritable d'un système.
On ne comptait jusqu'alors pas moins de 5 instructions judiciaires impliquant Jacques Chirac, du trafic d'armes en Angola jusqu'à l'affaire de la Sempap (cette société qui gérait jadis les appels d'offres de la Mairie de Paris), en passant par les emplois fictifs de permanents du RPR, les marchés truqués des HLM de la capitale ou le détournement des marchés publics d'Ile-de-France. Jusqu'à ce que, enquêtant sur ce dernier dossier, les juges mettent à jour un sixième scandale, celui des escapades exotiques que l'ancien maire de Paris acquitta en espèces, pour un montant de 2,4 millions de francs, entre 1992 et 1995.
Selon toute probabilité, cette somme provient des dessous-de-table que le parti chiraquien recueillait alors en échange de l'attribution, à quelques puissantes entreprises, des marchés juteux liés à la gestion ou à l'entretien de l'Opac de Paris, du chauffage central de la Ville et des lycées franciliens. Le futur chef de l'Etat finançait, de cette manière et sans distinction, ses activités politiques comme ses périodes de repos.
Plus qu'une modeste affaire de corruption - telle qu'il en existe depuis des lustres, impliquant qu'un corrupteur s'offre les services d'un corrompu pour l'obtention d'avantages indus -, ce fonctionnement banalisé d'un puissant appareil partisan révèle les dérives engendrées par le grand capitalisme libéral depuis une vingtaine d'années. Le culte de l'argent facile a perverti une fraction importante de la haute fonction publique et de la classe politique, droite et gauche gouvernante confondues. Il a remplacé les missions de service public par la course à l'affairisme privé, laquelle a vu son cours s'accélérer à mesure que l'on privatisait à tour de bras les offices municipaux et que l'on transformait le rôle de l'Etat et des collectivités locales.
Pris la main dans le sac, Chirac aura tenté une diversion, attribuant l'origine de ses paiements aux fameux "fonds spéciaux". Funeste erreur! Non seulement l'explication apparaît invraisemblable, mais elle met en lumière l'opacité abritant le fonctionnement courant de notre Ve République. Depuis plus de 40 ans, l'utilisation de ces fameux "fonds secrets" donne bien la mesure d'une architecture institutionnelle reposant sur la dissimulation et la pratique des coups tordus. Ils permettent de financer toutes sortes d'opérations, relevant de la raison d'Etat autant que de desseins privés, en les protégeant par le secret de la défense nationale.
Qu'il faille mettre fin à cette pratique, cela ne souffre pas de doute, du moins si l'on veut retrouver le chemin d'un minimum d'éthique... républicaine. Il est, à cet égard, symptomatique de la dérive caractérisant la gauche plurielle de voir Lionel Jospin s'y refuser au nom de la préservation d'un appareil d'Etat né, en 1958, d'un complot militaire. Cela ne saurait toutefois résumer l'indispensable combat pour faire enfin souffler le grand vent de la démocratie. Celui qui donnerait aux citoyens le pouvoir de contrôler en permanence l'utilisation des fonds publics, l'attribution des marchés par les collectivités locales, les comptes des mastodontes financiers bénéficiaires des mécanismes de la corruption. Celui qui priverait ces derniers de leur puissance politique, en remettant dans le domaine public les services touchant au quotidien des populations. Celui qui supprimerait l'ensemble de ces pratiques occultes qui conduisent la citoyenneté à n'être plus que l'alibi d'une démocratie de marché. Celui qui remettrait en cause la toute-puissance qui permet au monarque élyséen de prétendre à un "privilège de juridiction", même lorsqu'il relève de plusieurs mises en examen.
Le trait le plus caractéristique de la corruption à la française n'est-il pas, en effet, l'impunité dont jouissent ses principaux commanditaires? D'annulations des procédures en querelles internes au Parquet, la justice considèrent que seuls les voleurs de poules sont des délinquants, les voleurs riches restant... des possédants. Le respect du principe d'égalité de tous devant la loi voudrait que Jacques Chirac fût jugé pour un détournement de fonds à usage privé. Si, comme c'est probable, les conclusions du procureur général près de la cour d'appel sont suivies, il ne comparaîtra même pas comme "témoin assisté" devant un magistrat. On eût pu, dans ces conditions, espérer qu'il se trouverait suffisamment de parlementaires courageux pour le traduire en Haute Cour. Ce ne sera pas le cas, la hiérarchie socialiste ayant mis son veto.
C'est donc dans les urnes qu'il conviendra de faire entendre avec force l'exigence d'un changement radical de logique économique et social, d'une autre République pour les faire prévaloir.
Christian Picquet
Rouge 12/07/01
On ne comptait jusqu'alors pas moins de 5 instructions judiciaires impliquant Jacques Chirac, du trafic d'armes en Angola jusqu'à l'affaire de la Sempap (cette société qui gérait jadis les appels d'offres de la Mairie de Paris), en passant par les emplois fictifs de permanents du RPR, les marchés truqués des HLM de la capitale ou le détournement des marchés publics d'Ile-de-France. Jusqu'à ce que, enquêtant sur ce dernier dossier, les juges mettent à jour un sixième scandale, celui des escapades exotiques que l'ancien maire de Paris acquitta en espèces, pour un montant de 2,4 millions de francs, entre 1992 et 1995.
Selon toute probabilité, cette somme provient des dessous-de-table que le parti chiraquien recueillait alors en échange de l'attribution, à quelques puissantes entreprises, des marchés juteux liés à la gestion ou à l'entretien de l'Opac de Paris, du chauffage central de la Ville et des lycées franciliens. Le futur chef de l'Etat finançait, de cette manière et sans distinction, ses activités politiques comme ses périodes de repos.
Plus qu'une modeste affaire de corruption - telle qu'il en existe depuis des lustres, impliquant qu'un corrupteur s'offre les services d'un corrompu pour l'obtention d'avantages indus -, ce fonctionnement banalisé d'un puissant appareil partisan révèle les dérives engendrées par le grand capitalisme libéral depuis une vingtaine d'années. Le culte de l'argent facile a perverti une fraction importante de la haute fonction publique et de la classe politique, droite et gauche gouvernante confondues. Il a remplacé les missions de service public par la course à l'affairisme privé, laquelle a vu son cours s'accélérer à mesure que l'on privatisait à tour de bras les offices municipaux et que l'on transformait le rôle de l'Etat et des collectivités locales.
Pris la main dans le sac, Chirac aura tenté une diversion, attribuant l'origine de ses paiements aux fameux "fonds spéciaux". Funeste erreur! Non seulement l'explication apparaît invraisemblable, mais elle met en lumière l'opacité abritant le fonctionnement courant de notre Ve République. Depuis plus de 40 ans, l'utilisation de ces fameux "fonds secrets" donne bien la mesure d'une architecture institutionnelle reposant sur la dissimulation et la pratique des coups tordus. Ils permettent de financer toutes sortes d'opérations, relevant de la raison d'Etat autant que de desseins privés, en les protégeant par le secret de la défense nationale.
Qu'il faille mettre fin à cette pratique, cela ne souffre pas de doute, du moins si l'on veut retrouver le chemin d'un minimum d'éthique... républicaine. Il est, à cet égard, symptomatique de la dérive caractérisant la gauche plurielle de voir Lionel Jospin s'y refuser au nom de la préservation d'un appareil d'Etat né, en 1958, d'un complot militaire. Cela ne saurait toutefois résumer l'indispensable combat pour faire enfin souffler le grand vent de la démocratie. Celui qui donnerait aux citoyens le pouvoir de contrôler en permanence l'utilisation des fonds publics, l'attribution des marchés par les collectivités locales, les comptes des mastodontes financiers bénéficiaires des mécanismes de la corruption. Celui qui priverait ces derniers de leur puissance politique, en remettant dans le domaine public les services touchant au quotidien des populations. Celui qui supprimerait l'ensemble de ces pratiques occultes qui conduisent la citoyenneté à n'être plus que l'alibi d'une démocratie de marché. Celui qui remettrait en cause la toute-puissance qui permet au monarque élyséen de prétendre à un "privilège de juridiction", même lorsqu'il relève de plusieurs mises en examen.
Le trait le plus caractéristique de la corruption à la française n'est-il pas, en effet, l'impunité dont jouissent ses principaux commanditaires? D'annulations des procédures en querelles internes au Parquet, la justice considèrent que seuls les voleurs de poules sont des délinquants, les voleurs riches restant... des possédants. Le respect du principe d'égalité de tous devant la loi voudrait que Jacques Chirac fût jugé pour un détournement de fonds à usage privé. Si, comme c'est probable, les conclusions du procureur général près de la cour d'appel sont suivies, il ne comparaîtra même pas comme "témoin assisté" devant un magistrat. On eût pu, dans ces conditions, espérer qu'il se trouverait suffisamment de parlementaires courageux pour le traduire en Haute Cour. Ce ne sera pas le cas, la hiérarchie socialiste ayant mis son veto.
C'est donc dans les urnes qu'il conviendra de faire entendre avec force l'exigence d'un changement radical de logique économique et social, d'une autre République pour les faire prévaloir.
Christian Picquet
Rouge 12/07/01