Dix jours après le tremblement de terre du 21 mai, qui a fait plus de 2 200 morts, 10 000 blessés et des centaines de disparus, des milliers de sinistrés sont livrés à eux-mêmes. Préoccupé par un second mandat présidentiel, Bouteflika cherche à se disculper. Dans un contexte de crise absolue, la population a perdu toute confiance dans un pouvoir politique qui laisse le pays à l'abandon.
Ce ne sont sans doute pas les 700 000 dinars (autour de 7 000 euros) d'indemnités aux familles des victimes du tremblement de terre du 21 mai qui calmeront ces dernières face à une tragédie causée par l'absence de toute norme dans les nouvelles constructions ; résultat d'une absence de gestion à tous les niveaux d'intervention. De cette chaîne d'irresponsabilités, M. Bouteflika se disculpe et nie du même coup la logique chaotique d'un système rentier, irresponsable. Il s'est rendu à Evian, un voyage qu'il avait pourtant annulé une semaine auparavant. Une ville où l'on parapha, en mars 1962, le retour de la dignité. Quarante années plus tard et dans les mêmes lieux historiques, Bouteflika tourne en sens inverse les pages de l'histoire.
L'évolution de la situation politique et sociale en Algérie est très préoccupante. Pilotés par un pouvoir dont la gestion de la société repose sur le mépris des populations, le déni de toute expression citoyenne, l'arbitraire généralisé et l'aggravation des injustices sociales, les Algériens ne croient plus en leurs dirigeants. Ils ne se sont probablement jamais sentis si seuls. Ils assistent avec inquiétude au rapprochement de l'intégrisme islamiste et du pouvoir actuel.
L'hypothétique compromis entre le pouvoir assis sur l'économie rentière et les tenants d'un intégrisme islamiste rêvant de soumettre la société à la charia sera au coeur de la présidentielle prévue dans un peu plus d'un an. La "concorde civile" ouverte en janvier 2000 par le président Bouteflika aura finalement servi à réintroduire la mouvance islamiste dans le jeu politique. A cet égard, "l'imam" Bouteflika est allé aussi loin que les prêcheurs intégristes qui récupèrent la détresse des gens pour les culpabiliser : "Les sinistrés payent le prix de la foi perdue, de l'égarement du droit chemin, de la perte des valeurs religieuses dans le pays". Puisant dans le sentiment religieux des citoyens, ce discours est la meilleure façon de détourner l'Etat de ses obligations. M. Bouteflika compte tirer les dividendes de la détresse des sinistrés pour briguer un second mandat présidentiel.
Face à la colère des sinistrés, le pouvoir central s'efforce, pour se dédouaner, de "charger" au maximum les élus locaux. En faisant semblant d'oublier que, dans cette région de Boumerdes (localité la plus touchée par le séisme), en insurrection depuis deux ans, les élus ont presque tous été imposés par Alger.
La révolte des populations kabyles contre la misère, le chômage et l'exclusion n'a pas cessé depuis deux ans. Comptant sur l'essoufflement du mouvement qu'il cherchait à isoler du reste du pays, la réponse du Président et de son gouvernement s'est traduite par une répression sauvage : plusieurs centaines de jeunes blessés, des assassinats perpétrés et des délégués du mouvement populaire arrêtés. La gestion des affaires du pays est à l'abandon. Une situation qui profite aux luttes d'appareils et de clans. Avec, en ligne de mire, la confiscation du pouvoir et le contrôle de la redistribution de la rente.
Au fond, si l'Algérie en est toujours à souffrir de cette crise qui s'aggrave après plus de dix ans de sacrifices, de luttes, de tentatives de réformes, c'est que celle-ci dépasse le cadre d'une demande d'aménagement interne au système. Elle est générale, intégrale et absolue. Elle touche toutes les sphères d'activité du pays. Et, par-dessus tout, elle affecte le coeur même de l'Etat. Le déficit de confiance entre la population et le pouvoir politique est abyssal.
Dans la succession de malheurs qui les ont atteints ces dix dernières années, les Algériennes et les Algériens n'ont fait que défendre seuls leur dignité contre le bradage de leur économie, contre les islamistes et contre le dénuement dans lequel les jette, en cinq minutes, une catastrophe naturelle. Le spectacle de la population organisant elle-même l'assistance aux sinistrés est le signe d'une mobilisation et d'une solidarité infaillible. La vanité des uns et des autres ne les concernent plus. Un mandat de cinq ans devient franchement futile et dérisoire face à une éternité de fierté.
Abdel Belifa.
Résolution du Parti socialiste des travailleurs (PST) algérien
- extraits -Ci-dessous quelques extraits de la résolution du 16 avril 2003 sur la situation politique du secrétariat national du Parti socialiste des travailleurs (PST).
"Depuis 2001, la situation nationale est marquée par les grèves et par de violentes et récurrentes explosions de la jeunesse à travers le pays, qui ont persisté malgré le reflux de la révolte populaire d'une Kabylie qui n'est toujours pas normalisée. Malgré le choc de la chute sans résistance de Bagdad, et l'ouverture en fanfare de la compétition pour l'élection présidentielle, la situation restera marquée par les luttes sociales et par les préoccupations sociales. [...]
"En 2001, ébranlé par une véritable tempête sociale, Bouteflika a dû mettre un coup d'arrêt à sa politique. Après la puissante grève des pétroliers du 20 mars 2003, [le ministre Khelil] a retiré son projet de loi sur les hydrocarbures, et saupoudré les sept milliards de dollars du plan de relance pour calmer les grévistes. [...]
"Au lendemain de l'écrasement de l'Irak, alors que la superpuissance américaine en pleine euphorie programme ses prochaines prédations, les masses populaires doutent. Mais au Venezuela, en Algérie où le projet Khelil n'est que reporté, en Syrie ou ailleurs, les appétits US auront tôt fait de vous contraindre à organiser la riposte des travailleurs et des peuples. La construction d'un vaste mouvement politique démocratique antilibéral et anticapitaliste est le seul moyen de dépasser l'impasse actuelle du mouvement populaire et l'impuissance d'un syndicalisme à réinventer."
Rouge 12/06/03
Ce ne sont sans doute pas les 700 000 dinars (autour de 7 000 euros) d'indemnités aux familles des victimes du tremblement de terre du 21 mai qui calmeront ces dernières face à une tragédie causée par l'absence de toute norme dans les nouvelles constructions ; résultat d'une absence de gestion à tous les niveaux d'intervention. De cette chaîne d'irresponsabilités, M. Bouteflika se disculpe et nie du même coup la logique chaotique d'un système rentier, irresponsable. Il s'est rendu à Evian, un voyage qu'il avait pourtant annulé une semaine auparavant. Une ville où l'on parapha, en mars 1962, le retour de la dignité. Quarante années plus tard et dans les mêmes lieux historiques, Bouteflika tourne en sens inverse les pages de l'histoire.
L'évolution de la situation politique et sociale en Algérie est très préoccupante. Pilotés par un pouvoir dont la gestion de la société repose sur le mépris des populations, le déni de toute expression citoyenne, l'arbitraire généralisé et l'aggravation des injustices sociales, les Algériens ne croient plus en leurs dirigeants. Ils ne se sont probablement jamais sentis si seuls. Ils assistent avec inquiétude au rapprochement de l'intégrisme islamiste et du pouvoir actuel.
L'hypothétique compromis entre le pouvoir assis sur l'économie rentière et les tenants d'un intégrisme islamiste rêvant de soumettre la société à la charia sera au coeur de la présidentielle prévue dans un peu plus d'un an. La "concorde civile" ouverte en janvier 2000 par le président Bouteflika aura finalement servi à réintroduire la mouvance islamiste dans le jeu politique. A cet égard, "l'imam" Bouteflika est allé aussi loin que les prêcheurs intégristes qui récupèrent la détresse des gens pour les culpabiliser : "Les sinistrés payent le prix de la foi perdue, de l'égarement du droit chemin, de la perte des valeurs religieuses dans le pays". Puisant dans le sentiment religieux des citoyens, ce discours est la meilleure façon de détourner l'Etat de ses obligations. M. Bouteflika compte tirer les dividendes de la détresse des sinistrés pour briguer un second mandat présidentiel.
Face à la colère des sinistrés, le pouvoir central s'efforce, pour se dédouaner, de "charger" au maximum les élus locaux. En faisant semblant d'oublier que, dans cette région de Boumerdes (localité la plus touchée par le séisme), en insurrection depuis deux ans, les élus ont presque tous été imposés par Alger.
La révolte des populations kabyles contre la misère, le chômage et l'exclusion n'a pas cessé depuis deux ans. Comptant sur l'essoufflement du mouvement qu'il cherchait à isoler du reste du pays, la réponse du Président et de son gouvernement s'est traduite par une répression sauvage : plusieurs centaines de jeunes blessés, des assassinats perpétrés et des délégués du mouvement populaire arrêtés. La gestion des affaires du pays est à l'abandon. Une situation qui profite aux luttes d'appareils et de clans. Avec, en ligne de mire, la confiscation du pouvoir et le contrôle de la redistribution de la rente.
Au fond, si l'Algérie en est toujours à souffrir de cette crise qui s'aggrave après plus de dix ans de sacrifices, de luttes, de tentatives de réformes, c'est que celle-ci dépasse le cadre d'une demande d'aménagement interne au système. Elle est générale, intégrale et absolue. Elle touche toutes les sphères d'activité du pays. Et, par-dessus tout, elle affecte le coeur même de l'Etat. Le déficit de confiance entre la population et le pouvoir politique est abyssal.
Dans la succession de malheurs qui les ont atteints ces dix dernières années, les Algériennes et les Algériens n'ont fait que défendre seuls leur dignité contre le bradage de leur économie, contre les islamistes et contre le dénuement dans lequel les jette, en cinq minutes, une catastrophe naturelle. Le spectacle de la population organisant elle-même l'assistance aux sinistrés est le signe d'une mobilisation et d'une solidarité infaillible. La vanité des uns et des autres ne les concernent plus. Un mandat de cinq ans devient franchement futile et dérisoire face à une éternité de fierté.
Abdel Belifa.
Résolution du Parti socialiste des travailleurs (PST) algérien
- extraits -Ci-dessous quelques extraits de la résolution du 16 avril 2003 sur la situation politique du secrétariat national du Parti socialiste des travailleurs (PST).
"Depuis 2001, la situation nationale est marquée par les grèves et par de violentes et récurrentes explosions de la jeunesse à travers le pays, qui ont persisté malgré le reflux de la révolte populaire d'une Kabylie qui n'est toujours pas normalisée. Malgré le choc de la chute sans résistance de Bagdad, et l'ouverture en fanfare de la compétition pour l'élection présidentielle, la situation restera marquée par les luttes sociales et par les préoccupations sociales. [...]
"En 2001, ébranlé par une véritable tempête sociale, Bouteflika a dû mettre un coup d'arrêt à sa politique. Après la puissante grève des pétroliers du 20 mars 2003, [le ministre Khelil] a retiré son projet de loi sur les hydrocarbures, et saupoudré les sept milliards de dollars du plan de relance pour calmer les grévistes. [...]
"Au lendemain de l'écrasement de l'Irak, alors que la superpuissance américaine en pleine euphorie programme ses prochaines prédations, les masses populaires doutent. Mais au Venezuela, en Algérie où le projet Khelil n'est que reporté, en Syrie ou ailleurs, les appétits US auront tôt fait de vous contraindre à organiser la riposte des travailleurs et des peuples. La construction d'un vaste mouvement politique démocratique antilibéral et anticapitaliste est le seul moyen de dépasser l'impasse actuelle du mouvement populaire et l'impuissance d'un syndicalisme à réinventer."
Rouge 12/06/03