19 juin 2003

République démocratique du Congo - L'ONU en couverture

Sous couvert d'action humanitaire mandatée par l'Onu, l'Etat français veut conforter ses intérêts néocoloniaux dans la région des Grands Lacs.
Après avoir joué les pompiers-pyromanes en Côte-d'Ivoire, l'armée française joue une nouvelle fois le rôle de "force de paix" sur le sol africain. En effet, le Conseil de sécurité de l'ONU vient d'accepter sa candidature à la tête de la force multinationale intérimaire d'urgence localisée à Bunia. Celle-ci est chargée de protéger les habitants de cette ville, capitale de l'Ituri, dans la province orientale de la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre), des massacres perpétrés depuis des mois par les milices rivales identifiées aux ethnies lendu et hema (1). En fait, on assiste à la phase paroxystique d'un cycle infernal, initié en 1999, dont les enjeux dépassent la dimension ethnique si prisée par une certaine presse à l'affût de quelques "primitivismes".
Tragédie
La tragédie trouve son origine en août 1998 avec l'invasion de l'Est de la RDC par les armées du Rwanda, de l'Ouganda, voire du Burundi. Sous prétexte de sécuriser leurs frontières face aux rebellions basées dans l'est de la RDC, les armées du Rwanda et de l'Ouganda, alliées à des factions congolaises qu'elles parrainent (2), mènent une guerre contre les Forces armées congolaises (FAC) - appuyées dans un premier temps par les armées angolaise et zimbabwéenne - et contre les milices "patriotiques". Près de 40 ans après la défaite de la sécession katangaise inspirée par les Etats-Unis et la Belgique, les Etats rwandais et ougandais ont repris à leur compte le rêve de dépecer le Congo, trop riche en ressources naturelles pour ne pas constituer une proie.
Cette guerre est l'une des plus meurtrières qu'a connu l'humanité : selon les ONG International Rescue Committee et Amnesty International, environ trois millions de morts, 2,5 millions de personnes déplacées, des milliers de femmes violées (3). Et ce dans la quasi-indifférence de la "communauté internationale" - la mission de l'ONU au Congo est insignifiante -, de la grande presse, voire du mouvement pacifiste international.
Comme dans tout l'Est du Congo, les massacres en Ituri sont rythmés par les rapports croisés - alliances, mésalliances, recompositions - entre les parrains rwandais et ougandais (4), entre chaque parrain et ses alliés locaux, entre chacun et le régime de Kinshasa et ses alliés. Rapports déterminés par les intérêts économiques : l'enjeu est le pillage des richesses naturelles du pays, et donc la ruine en ce domaine du monopole dont jouissait le régime de Kinshasa.
Les acteurs directs sont les armées d'invasion, les forces rebelles congolaises et l'armée zimbabwéenne alliée de Kabila. Mais en sous-main, ce sont les multinationales d'exploitation, de commerce et de transformation des minerais (or, diamant, coltan (5)... indispensables pour les industries de pointe), voire des banques, qui intriguent et sont parmi les principaux bénéficiaires. Cette évidence pour les populations a été plus d'une fois confirmée par des experts de l'ONU. L'Ituri n'est pas seulement une zone aurifère (mines de Kilo Moto), elle recèle aussi des gisements pétroliers convoités. L'entreprise canadienne Heritage Oil s'y livre déjà à la prospection avec l'accord du général Salim Saleh, frère du président ougandais Museveni et patron du groupe Victoria, une entreprise partenaire qui prospère sur les cadavres de l'Est congolais. Un autre oligarque de l'armée ougandaise, le chef d'état-major général, James Kazini, lui aussi patron, a pour associé, à la tête de Trinity Investment, le numéro deux du RCD-ML, John Tibisima, ex-député mobutiste et ex-PDG de KiloMoto. Dans les coulisses des massacres, règne l'esprit du capital, dont l'irrationalité et la barbarie atteignent en Afrique des sommets.
Malgré les précautions prises (ONU, multinationalité...), on est en droit de se demander si l'intervention française est réellement humanitaire vu, d'une part, son passif dans la région des Grands Lacs (soutien aux génocidaires du Hutu Power au Rwanda, au régime de Mobutu pendant la conquête du pouvoir de 1996-1997 par les troupes de Kabila père avec l'appui de l'Ouganda, du Rwanda, de l'Erythrée et des Etats-Unis) (6) et, d'autre part, le réchauffement des relations de la France (7) avec le régime des Kabila, le père, puis le fils. Celui-ci, allié à la fraction identifiée aux Lendus, n'avait-il pas suggéré l'intervention de la France ? L'ONU n'ayant pas bougé le petit doigt lors du massacre des Hemas, en septembre 2002, la présence française est vue par l'élite politique hema, alliée à l'armée rwandaise (majoritairement tutsie) et maîtresse actuelle de Bunia, comme un geste de solidarité partiale envers les Lendus. Cette thèse se nourrit du réchauffement franco-ougandais, mais c'est surtout le pétrole congolais que vise la France. L'avenir montrera jusqu'à quel point l'ONU a servi de couverture à la stratégie néo coloniale de la France.
Jean Nanga.
1. Certes, il existe de vieilles rivalités ethniques. Le conflit fondateur date de 1885. L'hostilité qui en a découlé a été entretenue par l'idéologie de la supériorité des "nilotiques" (Hemas) sur les "bantous" (Lendus) et les pygmées, selon la taxinomie coloniale belge. Sous Mobutu, l'élite hema a utilisé des Lendus (majoritaires) comme prolétariat agricole.
2. Au début de l'invasion : le Rassemblement des Congolais pour la démocratie (RCD) et le Mouvement de libération du Congo (MLC).
3. Amnesty International, République démocratique du Congo "Nos frères qui les aident à nous tuer...". Exploitation économique et atteinte aux droits humains dans l'Est du pays, Londres, avril 2003.
4. Les armées rwandaise et ougandaise se sont affrontées à Kisangani, en RDC, il y a un an.
5. Le coltan rapporterait 20 millions de dollars de profit mensuel.
6. Voir Inprecor n° 413, mai 1997, et n° 417, octobre 1997.
7. Favorisé par le refroidissement des relations entre Washington et Kinshasa.
Rouge 2022 19/06/2003