Près d'un an après les accords de Marcoussis, conclus en janvier 2003, qui devaient mettre fin à la guerre civile, la situation politique et militaire est toujours aussi instable en Côte-d'Ivoire. La présence des troupes françaises se heurte à l'hostilité aussi bien des partisans du président ivoirien que de la rébellion. De plus, la volonté des Etats-Unis de prendre pied dans la région limite les marges de manoeuvre de la diplomatie française, qui voit son hégémonie dans la région contestée.
La guerre civile déclenchée en Côte-d'Ivoire en septembre 2002, après deux années d'instabilité et de violence politique larvée, a abouti, de fait, à une partition du pays. D'un côté, le Nord, contrôlé par la rébellion dite des Forces nouvelles, de l'autre, le gouvernement et les Forces armées nationales de Côte-d'Ivoire (Fanci). La fin officielle de la guerre a été signée, à l'issue de la table ronde regroupant les principaux protagonistes politiques ivoiriens, sur la base des accords dits de Linas-Marcoussis.
L'application de ceux-ci, signés malgré la résistance du président ivoirien Laurent Gbagbo, qui voyait ses prérogatives réduites, n'est toujours pas effective presque un an après leur signature, à commencer par la mise en place du gouvernement de réconciliation nationale, dont le Premier ministre, Seydou Diarra (vice-président de la table ronde), avait été consensuellement choisi. Sa composition et les prérogatives du Premier ministre demeurent l'une des deux pommes de discorde. La deuxième, c'est "le regroupement des forces en présence puis leur désarmement", qui n'ont toujours pas été réalisés, avec comme conséquence le maintien de la population ivoirienne dans un climat d'insécurité totale.
La rencontre de Yamoussoukro, du jeudi 4 décembre 2003, entre le président L. Gbagbo, l'état-major des Fanci d'un côté, et les chefs militaires des Forces nouvelles de l'autre, était censée ramener au gouvernement les ministres des Forces nouvelles, ceux-ci l'ayant quitté pour protester contre ce qu'ils considèrent comme un non-respect des accords par la partie adverse.
Cette rencontre devait aussi préparer le regroupement et le désarmement des forces en présence, à un moment où une reprise des combats semble imminente, comme l'annoncent aussi bien les accrochages entre les rebelles et les troupes françaises que les manifestations des patriotes et des militaires loyalistes contre les troupes françaises, considérées par ces derniers comme complices des rebelles. La déclaration de la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, sur le maintien des troupes françaises en Côte-d'Ivoire jusqu'en 2005, date de la prochaine élection présidentielle, n'est pas faite pour apaiser la situation.
Derrière le chauvinisme, des rivalités interimpérialistes
Apparemment, cette présence est justifiée par la nécessité de maintenir l'ordre et la paix jusqu'au déroulement des prochaines élections. Si la présence des troupes françaises a peut-être limité le nombre de victimes civiles, cela ne peut faire oublier que le pompier est aussi dans ce cas l'un des pyromanes.
Que la guerre civile ivoirienne ait une dimension ethnique et confessionnelle est indéniable. La population ivoirienne n'est pas épargnée par le vent de chauvinisme qui accompagne la mondialisation néolibérale. Depuis la période coloniale, pour des besoins de main-d'oeuvre aussi bien agricole qu'administrative, l'administration avait organisé, favorisé l'implantation des ressortissants des territoires voisins, en mettant en place un code de la nationalité très souple. Mais la crise de l'économie ivoirienne et la politique de régression sociale l'accompagnant allaient réveiller les démons de la xénophobie. La rébellion a trouvé dans ce chauvinisme à l'égard des musulmans, des nordistes et des étrangers des pays voisins une justification de ses actions.
Mais derrière ce chauvinisme, il y a aussi la rivalité entre fractions politiques de la bourgeoisie ivoirienne différemment liées aux intérêts capitalistes français en particulier, et occidentaux en général. L'hégémonie française est aujourd'hui remise en cause et elle doit affronter notamment la concurrence des Etats-Unis. Depuis quelque temps, ceux-ci manifestent un certain intérêt pour l'Afrique occidentale francophone, aussi bien sous forme de présence économique, dans le cadre de la privatisation et de la libéralisation des marchés, que de présence militaire. Ce redéploiement de l'impérialisme étatsunien peut expliquer l'évolution et les fluctuations de la politique française en Côte-d'Ivoire, dont les marges de manoeuvre sont étroites. Si la diplomatie française a déjà exprimé sa volonté de favoriser le désarmement des rebelles, elle doit aussi faire en sorte que cela débouche sur le rétablissement de relations privilégiées avec le pouvoir ivoirien et non pas sur un renforcement des velléités de prises de distance de celui-ci à l'égard de la France au profit des Etats-Unis. Tel sera l'enjeu des discussions qui auront lieu lors de la prochaine visite officielle du président ivoirien en France, au début de l'année prochaine.
Jean Nanga
Rouge 2044 18/12/2003
La guerre civile déclenchée en Côte-d'Ivoire en septembre 2002, après deux années d'instabilité et de violence politique larvée, a abouti, de fait, à une partition du pays. D'un côté, le Nord, contrôlé par la rébellion dite des Forces nouvelles, de l'autre, le gouvernement et les Forces armées nationales de Côte-d'Ivoire (Fanci). La fin officielle de la guerre a été signée, à l'issue de la table ronde regroupant les principaux protagonistes politiques ivoiriens, sur la base des accords dits de Linas-Marcoussis.
L'application de ceux-ci, signés malgré la résistance du président ivoirien Laurent Gbagbo, qui voyait ses prérogatives réduites, n'est toujours pas effective presque un an après leur signature, à commencer par la mise en place du gouvernement de réconciliation nationale, dont le Premier ministre, Seydou Diarra (vice-président de la table ronde), avait été consensuellement choisi. Sa composition et les prérogatives du Premier ministre demeurent l'une des deux pommes de discorde. La deuxième, c'est "le regroupement des forces en présence puis leur désarmement", qui n'ont toujours pas été réalisés, avec comme conséquence le maintien de la population ivoirienne dans un climat d'insécurité totale.
La rencontre de Yamoussoukro, du jeudi 4 décembre 2003, entre le président L. Gbagbo, l'état-major des Fanci d'un côté, et les chefs militaires des Forces nouvelles de l'autre, était censée ramener au gouvernement les ministres des Forces nouvelles, ceux-ci l'ayant quitté pour protester contre ce qu'ils considèrent comme un non-respect des accords par la partie adverse.
Cette rencontre devait aussi préparer le regroupement et le désarmement des forces en présence, à un moment où une reprise des combats semble imminente, comme l'annoncent aussi bien les accrochages entre les rebelles et les troupes françaises que les manifestations des patriotes et des militaires loyalistes contre les troupes françaises, considérées par ces derniers comme complices des rebelles. La déclaration de la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, sur le maintien des troupes françaises en Côte-d'Ivoire jusqu'en 2005, date de la prochaine élection présidentielle, n'est pas faite pour apaiser la situation.
Derrière le chauvinisme, des rivalités interimpérialistes
Apparemment, cette présence est justifiée par la nécessité de maintenir l'ordre et la paix jusqu'au déroulement des prochaines élections. Si la présence des troupes françaises a peut-être limité le nombre de victimes civiles, cela ne peut faire oublier que le pompier est aussi dans ce cas l'un des pyromanes.
Que la guerre civile ivoirienne ait une dimension ethnique et confessionnelle est indéniable. La population ivoirienne n'est pas épargnée par le vent de chauvinisme qui accompagne la mondialisation néolibérale. Depuis la période coloniale, pour des besoins de main-d'oeuvre aussi bien agricole qu'administrative, l'administration avait organisé, favorisé l'implantation des ressortissants des territoires voisins, en mettant en place un code de la nationalité très souple. Mais la crise de l'économie ivoirienne et la politique de régression sociale l'accompagnant allaient réveiller les démons de la xénophobie. La rébellion a trouvé dans ce chauvinisme à l'égard des musulmans, des nordistes et des étrangers des pays voisins une justification de ses actions.
Mais derrière ce chauvinisme, il y a aussi la rivalité entre fractions politiques de la bourgeoisie ivoirienne différemment liées aux intérêts capitalistes français en particulier, et occidentaux en général. L'hégémonie française est aujourd'hui remise en cause et elle doit affronter notamment la concurrence des Etats-Unis. Depuis quelque temps, ceux-ci manifestent un certain intérêt pour l'Afrique occidentale francophone, aussi bien sous forme de présence économique, dans le cadre de la privatisation et de la libéralisation des marchés, que de présence militaire. Ce redéploiement de l'impérialisme étatsunien peut expliquer l'évolution et les fluctuations de la politique française en Côte-d'Ivoire, dont les marges de manoeuvre sont étroites. Si la diplomatie française a déjà exprimé sa volonté de favoriser le désarmement des rebelles, elle doit aussi faire en sorte que cela débouche sur le rétablissement de relations privilégiées avec le pouvoir ivoirien et non pas sur un renforcement des velléités de prises de distance de celui-ci à l'égard de la France au profit des Etats-Unis. Tel sera l'enjeu des discussions qui auront lieu lors de la prochaine visite officielle du président ivoirien en France, au début de l'année prochaine.
Jean Nanga
Rouge 2044 18/12/2003