Alors que des centaines de prisonniers politiques croupissent dans les prisons tunisiennes, le chef de l'Etat français, une fois de plus, raisons diplomatiques obligent, a apporté son soutien à Ben Ali, cautionnant ainsi un régime dictatorial qui fait peu de cas des droits démocratiques les plus élémentaires.
Jacques Chirac aurait dû prolonger sa visite officielle de 24 heures en Tunisie et faire un détour par la prison de Kef, une petite ville se situant à quelques dizaines de kilomètres de la frontière algérienne. Il aurait pu y rencontrer Lakhdar, Habib, Boujemaa et Abdelahmid Ibrahim, tous frères et cousins, qui se triturent les méninges depuis quelques jours pour essayer de comprendre la fameuse phrase du président français, que les radios tunisiennes repassent en boucle entre deux déclarations de Ben Ali : "Le premier des droits de l'Homme, c'est de manger, d'être soigné, de recevoir une éducation et d'avoir un habitat." La famille Ibrahim, ce sont, en effet, plus de soixante personnes qui, poussées par la faim, ont fui leur village pour se réfugier en Algérie. Manque de chance, la police algérienne les a arrêtés et remis aux autorités tunisiennes. Inculpés pour "constitution d'une association de malfaiteurs, sortie illégale du territoire et organisation de réunions non autorisées", certains d'entre eux ont été jetés en prison, après avoir été sauvagement torturés. Leurs avocats n'ont évidemment pas eu accès à leurs dossiers et leur famille n'a toujours pas été autorisée à leur rendre visite à la prison de Kef, où ils sont enfermés dans d'effroyables conditions (surpopulation, absence de soins, humiliations permanentes...).
Dans cette même prison, Jacques Chirac aurait également pu rencontrer quelques-uns des 600 détenus politiques tunisiens, dont 35 sont enfermés dans l'isolement le plus total depuis plus de douze ans - c'est le cas d'Ali Larayedh, du parti islamiste Ennahda. Des dizaines de ces prisonniers sont en grève de la faim depuis plusieurs semaines. Parmi eux, Lofti Farhat, qui a été condamné à sept ans de prison en 2001 pour "complot contre l'Etat", alors même que ses aveux avaient été obtenus sous la torture. Le 8 octobre dernier, le journaliste Abdallah Zouari, qui avait déjà purgé une peine de onze ans d'emprisonnement, a été condamné à treize mois de prison pour avoir refusé de se soumettre au "contrôle administratif", qui impose un contrôle policier quotidien à des milliers d'anciens prisonniers politiques.
Par-delà le harcèlement dont elle est personnellement la cible, c'est sur l'ensemble de ces persécutions que Radhia Nasraoui a voulu attirer l'attention en entamant une longue grève de la faim (elle en est à près de deux mois), qui met aujourd'hui ses jours en danger. Chirac prétend en avoir "touché un mot" au président tunisien, mais combien de "mots" faudrait-il pour évoquer les arrestations arbitraires, la torture systématique, l'absence de libertés politiques, associatives et syndicales, la falsification des élections et l'ensemble du dispositif qui permet le coup d'Etat permanent de Ben Ali ? Dans quelques mois, Ben Ali se fera "élire" président pour la quatrième fois, après avoir imposé une refonte de la Constitution qui lui permet de briguer deux autres mandats en 2004 et 2009. Il a d'ores et déjà l'appui du président français, de l'Union européenne et des Etats-Unis de Bush, qui voient en lui un allié docile : "bon élève" du FMI, champion de la "lutte contre le terrorisme", garde-frontières efficace pour contrer les candidats à l'émigration clandestine. Si l'on en croit Chirac, les droits humains et la citoyenneté ne sont plus des valeurs universelles : il y a, en ce cas, lieu de craindre que, libéral sur le plan économique et sécuritaire en politique, Ben Ali ne soit devenu un modèle universel.
Aux protestations des démocrates tunisiens, Jacques Chirac n'a trouvé d'autre réponse que celle-ci : "Nous avons aussi un certain nombre de gens en France qui font la grève de la faim, qui ont fait la grève de la faim et qui feront probablement un jour ou un autre, pour une raison ou pour une autre, la grève de la faim." Autrement dit, en Tunisie comme en France, on fait la grève de la faim pour tout et n'importe quoi !
Sadri Khiari
Rouge 11/12/2003
Jacques Chirac aurait dû prolonger sa visite officielle de 24 heures en Tunisie et faire un détour par la prison de Kef, une petite ville se situant à quelques dizaines de kilomètres de la frontière algérienne. Il aurait pu y rencontrer Lakhdar, Habib, Boujemaa et Abdelahmid Ibrahim, tous frères et cousins, qui se triturent les méninges depuis quelques jours pour essayer de comprendre la fameuse phrase du président français, que les radios tunisiennes repassent en boucle entre deux déclarations de Ben Ali : "Le premier des droits de l'Homme, c'est de manger, d'être soigné, de recevoir une éducation et d'avoir un habitat." La famille Ibrahim, ce sont, en effet, plus de soixante personnes qui, poussées par la faim, ont fui leur village pour se réfugier en Algérie. Manque de chance, la police algérienne les a arrêtés et remis aux autorités tunisiennes. Inculpés pour "constitution d'une association de malfaiteurs, sortie illégale du territoire et organisation de réunions non autorisées", certains d'entre eux ont été jetés en prison, après avoir été sauvagement torturés. Leurs avocats n'ont évidemment pas eu accès à leurs dossiers et leur famille n'a toujours pas été autorisée à leur rendre visite à la prison de Kef, où ils sont enfermés dans d'effroyables conditions (surpopulation, absence de soins, humiliations permanentes...).
Dans cette même prison, Jacques Chirac aurait également pu rencontrer quelques-uns des 600 détenus politiques tunisiens, dont 35 sont enfermés dans l'isolement le plus total depuis plus de douze ans - c'est le cas d'Ali Larayedh, du parti islamiste Ennahda. Des dizaines de ces prisonniers sont en grève de la faim depuis plusieurs semaines. Parmi eux, Lofti Farhat, qui a été condamné à sept ans de prison en 2001 pour "complot contre l'Etat", alors même que ses aveux avaient été obtenus sous la torture. Le 8 octobre dernier, le journaliste Abdallah Zouari, qui avait déjà purgé une peine de onze ans d'emprisonnement, a été condamné à treize mois de prison pour avoir refusé de se soumettre au "contrôle administratif", qui impose un contrôle policier quotidien à des milliers d'anciens prisonniers politiques.
Par-delà le harcèlement dont elle est personnellement la cible, c'est sur l'ensemble de ces persécutions que Radhia Nasraoui a voulu attirer l'attention en entamant une longue grève de la faim (elle en est à près de deux mois), qui met aujourd'hui ses jours en danger. Chirac prétend en avoir "touché un mot" au président tunisien, mais combien de "mots" faudrait-il pour évoquer les arrestations arbitraires, la torture systématique, l'absence de libertés politiques, associatives et syndicales, la falsification des élections et l'ensemble du dispositif qui permet le coup d'Etat permanent de Ben Ali ? Dans quelques mois, Ben Ali se fera "élire" président pour la quatrième fois, après avoir imposé une refonte de la Constitution qui lui permet de briguer deux autres mandats en 2004 et 2009. Il a d'ores et déjà l'appui du président français, de l'Union européenne et des Etats-Unis de Bush, qui voient en lui un allié docile : "bon élève" du FMI, champion de la "lutte contre le terrorisme", garde-frontières efficace pour contrer les candidats à l'émigration clandestine. Si l'on en croit Chirac, les droits humains et la citoyenneté ne sont plus des valeurs universelles : il y a, en ce cas, lieu de craindre que, libéral sur le plan économique et sécuritaire en politique, Ben Ali ne soit devenu un modèle universel.
Aux protestations des démocrates tunisiens, Jacques Chirac n'a trouvé d'autre réponse que celle-ci : "Nous avons aussi un certain nombre de gens en France qui font la grève de la faim, qui ont fait la grève de la faim et qui feront probablement un jour ou un autre, pour une raison ou pour une autre, la grève de la faim." Autrement dit, en Tunisie comme en France, on fait la grève de la faim pour tout et n'importe quoi !
Sadri Khiari
Rouge 11/12/2003