Le RPR de Chirac mérite la médaille des détournements illégaux au profit d'un parti politique. Côté face, l'organisation du pillage de l'argent public dans les marchés des HLM de Paris et d'ailleurs. Côté pile, le pompage financier par les réseaux branchés sur les affaires africaines.
Dans sa cassette sur les marchés publics d'Ile-de-France, Méry déclare: "Pour Chirac et le RPR, je verse, à Roussin, 5 à 6millions en liquide par an à Paris, autant à l'étranger." Et fin 1986: "j'ai remis les 5millions de francs en argent liquide directement sur le bureau de M.Roussin, en présence de M. Chirac". Des révélations à mettre en rapport avec d'autres faits se déroulant à la même époque, déjà rapportés dans les "Dossiers de la politique africaine de la France"*. Dès son installation en mars1986 à Matignon, Chirac filait voir ses amis africains, notamment Houphouët-Boigny en Côte-d'Ivoire, et rétablissait les bonnes relations avec Mobutu au Zaïre ou Hassan II au Maroc: "La colossale fortune d'Houphouët est le résultat d'un flux d'enrichissement aux nombreuses ramifications métropolitaines. Francis Bouygues a obtenu le monopole des principaux services publics ivoiriens (...). L'une de ces ramifications vient d'être exhumée par l'enquête du juge Halphen sur l'énorme dossier de fausses factures des HLM de Paris. Michel Roussin - directeur de cabinet de J. Chirac à l'Hôtel de Ville- a été mis en examen en tant que réceptionniste de mallettes d'argent liquide. Les fonds transitaient, entre autres, par des sociétés ivoiriennes."* Plus loin, dans le même ouvrage: "En mars1988, lors d'un séjour à Nice, le Guide (Mobutu) charge son conseiller spécial (...) de remettre en main propre à M. Chirac 5millions de FF, à titre de contribution personnelle à son budget électoral"*.
Voilà comment se préparait la présidentielle de 1988 pour le candidat Chirac.
Le cursus de Michel Roussin
Selon Méry, la "machine" RPR, c'est "d'abord un homme, Michel Roussin". Il faut en effet s'attarder sur la carrière édifiante de Michel Roussin. Gendarme et officier, il est dans les années 1970 directeur de cabinet d'Alexandre de Marenches, directeur du Sdece (devenu DGSE). De 1984 à 1986, il est chef de cabinet du maire de Paris (Chirac). En 1986, il devient chef de cabinet du Premier ministre (Chirac). De 1989 à 1993, il revient directeur de cabinet du maire de Paris, (Chirac). En 1993 et 94, il est ministre de la Coopération du gouvernement Balladur. Un poste qui le branche sur tout le circuit de pompage financier des réseaux franco-africains. Mis en examen par le juge Halphen dans l'affaire des HLM, Roussin quitte le gouvernement fin 1994. Il se brouille avec Chirac, soutient Balladur et penche vers Pasqua. On se déchire dans la famille gaulliste, les réseaux se diversifient, se privatisent. Roussin se voit attribuer la présidence d'une entreprise, SAE International, qui vend des grands travaux à l'étranger. Il devient président du comité Afrique du CNPF qui, avec la CCI de Paris, accueille les chefs d'Etats africains et organise séminaires et rencontres avec les hommes d'affaires français. Roussin peut établir les meilleures relations avec les ministres africains de l'Equipement, du Transport, de l'Urbanisme et de l'Habitat... des secteurs qui l'intéressent comme ancien responsable de la mairie de Paris. Il travaille avec le Cian, Conseil des investisseurs en Afrique, les messieurs Afrique des cent grands groupes français, qui ont plus d'un millier de filiales dans une vingtaine de pays du continent. Roussin se rapproche de Bolloré, le patron français qui tisse un empire en Afrique, et qui penche plutôt vers Madelin et Giscard.
Au coeur des réseaux
Quand Total investit en Birmanie, les réseaux franco-africains s'y déploient tout naturellement. En1996 et1997, on y retrouve donc Roussin, qui effectue quatre séjours en Birmanie, souvent en compagnie de l'inévitable J.-C.Marchiani. Ils négocient avec la junte, qui a besoin d'armes pour "pacifier" les régions traversées par le gazoduc de Total. Roussin investit dans l'hôtellerie à Rangoon, capitale d'une Birmanie première productrice d'héroïne du monde... Il appartient à un réseau efficace: la Grande Loge nationale de France, obédience de droite. Il y côtoie, entre autres, Sassou N'Guesso du Congo, Déby du Tchad, Compaoré du Burkina, Georges Rawiri, conseiller spécial de Bongo, J.Godfrain, Wibaux, D.Schuller... et J.-C.Méry.
Roussin est donc l'un des principaux acteurs à la charnière des entreprises, des affaires, du financement du RPR et de la droite. L'immobilier, l'eau, les télécoms, sont des affaires juteuses aussi bien en France qu'en Afrique, notamment pour Bouygues, Vivendi, la Lyonnaise, et leurs amis politiques qui profitent des rétro-commissions.
On pourrait s'étonner qu'après les révélations de Méry, personne ne mette en évidence le rôle d'un Roussin, qui ne dispose pourtant pas de la scandaleuse immunité de Chirac... mais il est vrai qu'il a la protection du Medef et des grandes entreprises. Mais pourquoi la justice s'arrête-t-elle au seuil d'affaires africaines?
Non à l'impunité
Le système gaulliste fut mis en place par un coup d'Etat au milieu d'une guerre coloniale en Afrique. C'est sans doute de cette naissance illégitime que les gaullistes ont tiré toute une culture de l'impunité, renforcée par les pouvoirs exorbitants que la constitution de la veRépublique accorde au président, notamment celui de diriger la politique africaine par une "cellule" élyséenne et d'engager les forces armées à l'extérieur, sans contrôle du Parlement, ni même du gouvernement. Alors pourquoi se gêner pour financer son parti et ses amis en toute impunité? Dénonçant la veRépublique comme un "coup d'Etat permanent", Mitterrand succomba à ses avantages et se coula dans ses institutions. Nous avons dénoncé en son temps la politique de Mitterrand, des affaires Elf au Rwanda. Nous ne devons pas pour autant banaliser la politique du RPR et de la droite, fondateurs de la politique africaine de la France, premiers bénéficiaires de ses retombées.
Chirac se trouve depuis longtemps au centre de ce système. Il nomme Jérôme Monod, ex-PDG de la Lyonnaise des Eaux, conseiller à l'Elysée. Puis il lance une idée du CNPF: "transformer la dette extérieure des pays africains francophones en investissements". Il s'agissait, non d'annuler la dette et d'investir, mais d'échanger la dette contre la participation d'entreprises françaises à la privatisation du secteur public africain, en connivence avec les chefs d'Etats des quatre pays les plus choyés (Côte-d'Ivoire, Congo, Cameroun, Gabon). Mis en place par la France, ils se sont enrichis sur le dos de la dette et de l'aide à la coopération, et leur appui financier aux gouvernants français leur confère aussi un pouvoir de chantage non négligeable. On profite ainsi de la dette pour recoloniser les secteurs clés, on privatise, on en fait profiter les mêmes entreprises (Bouygues et compagnie...). Et au passage, on efface des ardoises compromettantes, notamment, en Côte-d'Ivoire, le recyclage des fausses factures des HLM franciliennes vers les caisses du RPR*. La boucle est bouclée.
Il faut exiger que la justice remonte les fils jusqu'à Chirac. Si elle en est empêchée, que Chirac se tire, et qu'en partant, il n'oublie pas ses "affaires".
Alain Mathieu
*. "Dossiers de la politique africaine de la France", "J. Chirac et la Françafrique", publiés en 1995 par Agir Ici et Survie, à l'Harmattan.
Dans sa cassette sur les marchés publics d'Ile-de-France, Méry déclare: "Pour Chirac et le RPR, je verse, à Roussin, 5 à 6millions en liquide par an à Paris, autant à l'étranger." Et fin 1986: "j'ai remis les 5millions de francs en argent liquide directement sur le bureau de M.Roussin, en présence de M. Chirac". Des révélations à mettre en rapport avec d'autres faits se déroulant à la même époque, déjà rapportés dans les "Dossiers de la politique africaine de la France"*. Dès son installation en mars1986 à Matignon, Chirac filait voir ses amis africains, notamment Houphouët-Boigny en Côte-d'Ivoire, et rétablissait les bonnes relations avec Mobutu au Zaïre ou Hassan II au Maroc: "La colossale fortune d'Houphouët est le résultat d'un flux d'enrichissement aux nombreuses ramifications métropolitaines. Francis Bouygues a obtenu le monopole des principaux services publics ivoiriens (...). L'une de ces ramifications vient d'être exhumée par l'enquête du juge Halphen sur l'énorme dossier de fausses factures des HLM de Paris. Michel Roussin - directeur de cabinet de J. Chirac à l'Hôtel de Ville- a été mis en examen en tant que réceptionniste de mallettes d'argent liquide. Les fonds transitaient, entre autres, par des sociétés ivoiriennes."* Plus loin, dans le même ouvrage: "En mars1988, lors d'un séjour à Nice, le Guide (Mobutu) charge son conseiller spécial (...) de remettre en main propre à M. Chirac 5millions de FF, à titre de contribution personnelle à son budget électoral"*.
Voilà comment se préparait la présidentielle de 1988 pour le candidat Chirac.
Le cursus de Michel Roussin
Selon Méry, la "machine" RPR, c'est "d'abord un homme, Michel Roussin". Il faut en effet s'attarder sur la carrière édifiante de Michel Roussin. Gendarme et officier, il est dans les années 1970 directeur de cabinet d'Alexandre de Marenches, directeur du Sdece (devenu DGSE). De 1984 à 1986, il est chef de cabinet du maire de Paris (Chirac). En 1986, il devient chef de cabinet du Premier ministre (Chirac). De 1989 à 1993, il revient directeur de cabinet du maire de Paris, (Chirac). En 1993 et 94, il est ministre de la Coopération du gouvernement Balladur. Un poste qui le branche sur tout le circuit de pompage financier des réseaux franco-africains. Mis en examen par le juge Halphen dans l'affaire des HLM, Roussin quitte le gouvernement fin 1994. Il se brouille avec Chirac, soutient Balladur et penche vers Pasqua. On se déchire dans la famille gaulliste, les réseaux se diversifient, se privatisent. Roussin se voit attribuer la présidence d'une entreprise, SAE International, qui vend des grands travaux à l'étranger. Il devient président du comité Afrique du CNPF qui, avec la CCI de Paris, accueille les chefs d'Etats africains et organise séminaires et rencontres avec les hommes d'affaires français. Roussin peut établir les meilleures relations avec les ministres africains de l'Equipement, du Transport, de l'Urbanisme et de l'Habitat... des secteurs qui l'intéressent comme ancien responsable de la mairie de Paris. Il travaille avec le Cian, Conseil des investisseurs en Afrique, les messieurs Afrique des cent grands groupes français, qui ont plus d'un millier de filiales dans une vingtaine de pays du continent. Roussin se rapproche de Bolloré, le patron français qui tisse un empire en Afrique, et qui penche plutôt vers Madelin et Giscard.
Au coeur des réseaux
Quand Total investit en Birmanie, les réseaux franco-africains s'y déploient tout naturellement. En1996 et1997, on y retrouve donc Roussin, qui effectue quatre séjours en Birmanie, souvent en compagnie de l'inévitable J.-C.Marchiani. Ils négocient avec la junte, qui a besoin d'armes pour "pacifier" les régions traversées par le gazoduc de Total. Roussin investit dans l'hôtellerie à Rangoon, capitale d'une Birmanie première productrice d'héroïne du monde... Il appartient à un réseau efficace: la Grande Loge nationale de France, obédience de droite. Il y côtoie, entre autres, Sassou N'Guesso du Congo, Déby du Tchad, Compaoré du Burkina, Georges Rawiri, conseiller spécial de Bongo, J.Godfrain, Wibaux, D.Schuller... et J.-C.Méry.
Roussin est donc l'un des principaux acteurs à la charnière des entreprises, des affaires, du financement du RPR et de la droite. L'immobilier, l'eau, les télécoms, sont des affaires juteuses aussi bien en France qu'en Afrique, notamment pour Bouygues, Vivendi, la Lyonnaise, et leurs amis politiques qui profitent des rétro-commissions.
On pourrait s'étonner qu'après les révélations de Méry, personne ne mette en évidence le rôle d'un Roussin, qui ne dispose pourtant pas de la scandaleuse immunité de Chirac... mais il est vrai qu'il a la protection du Medef et des grandes entreprises. Mais pourquoi la justice s'arrête-t-elle au seuil d'affaires africaines?
Non à l'impunité
Le système gaulliste fut mis en place par un coup d'Etat au milieu d'une guerre coloniale en Afrique. C'est sans doute de cette naissance illégitime que les gaullistes ont tiré toute une culture de l'impunité, renforcée par les pouvoirs exorbitants que la constitution de la veRépublique accorde au président, notamment celui de diriger la politique africaine par une "cellule" élyséenne et d'engager les forces armées à l'extérieur, sans contrôle du Parlement, ni même du gouvernement. Alors pourquoi se gêner pour financer son parti et ses amis en toute impunité? Dénonçant la veRépublique comme un "coup d'Etat permanent", Mitterrand succomba à ses avantages et se coula dans ses institutions. Nous avons dénoncé en son temps la politique de Mitterrand, des affaires Elf au Rwanda. Nous ne devons pas pour autant banaliser la politique du RPR et de la droite, fondateurs de la politique africaine de la France, premiers bénéficiaires de ses retombées.
Chirac se trouve depuis longtemps au centre de ce système. Il nomme Jérôme Monod, ex-PDG de la Lyonnaise des Eaux, conseiller à l'Elysée. Puis il lance une idée du CNPF: "transformer la dette extérieure des pays africains francophones en investissements". Il s'agissait, non d'annuler la dette et d'investir, mais d'échanger la dette contre la participation d'entreprises françaises à la privatisation du secteur public africain, en connivence avec les chefs d'Etats des quatre pays les plus choyés (Côte-d'Ivoire, Congo, Cameroun, Gabon). Mis en place par la France, ils se sont enrichis sur le dos de la dette et de l'aide à la coopération, et leur appui financier aux gouvernants français leur confère aussi un pouvoir de chantage non négligeable. On profite ainsi de la dette pour recoloniser les secteurs clés, on privatise, on en fait profiter les mêmes entreprises (Bouygues et compagnie...). Et au passage, on efface des ardoises compromettantes, notamment, en Côte-d'Ivoire, le recyclage des fausses factures des HLM franciliennes vers les caisses du RPR*. La boucle est bouclée.
Il faut exiger que la justice remonte les fils jusqu'à Chirac. Si elle en est empêchée, que Chirac se tire, et qu'en partant, il n'oublie pas ses "affaires".
Alain Mathieu
*. "Dossiers de la politique africaine de la France", "J. Chirac et la Françafrique", publiés en 1995 par Agir Ici et Survie, à l'Harmattan.