Depuis 1955, une guerre civile déchire le Sud et le Nord du Soudan. Ce conflit s'est élargi depuis le coup d'Etat des islamistes en 1989, dirigé par le général Omar Hassan el-Bechir.
Retour sur un conflit oublié.
Par l'étendue de son territoire et ses frontières communes avec neufs Etats, le Soudan joue un rôle prépondérant en Afrique orientale. De nombreux groupes ethniques, culturels et linguistiques y nouent des enjeux géopolitiques dans l'affrontement entre deux mondes fort divers et opposés, installés à l'intérieur de la société soudanaise.
Le Nord arabophone et islamisé domine l'ensemble de la population tandis que dans le Sud, démographiquement moins dense, coexistent des populations noires-africaines formées par les ethnies dinka, shillouk, nubas, nuer... christianisées par les colonisateurs britanniques au XIXe siècle.
L'opposition entre les deux parties est ancienne. Jusqu'à la révolte mahiste, les autorités égyptiennes et les marchands d'esclaves arabes n'accordent guère d'importance aux populations du Sud. Par la suite, le Sud devient un réservoir d'esclaves. Trois siècles durant, ces populations sont rejetées avec cruauté et mépris par les confréries soufis, ajoutant à cet antagonisme racial un antagonisme religieux au XXe siècle.
Un guerre civile sans fin
Suite à l'indépendance de 1956, une volonté d'unifier ces deux mondes avorte. Une profonde dichotomie émerge, entravant tout essor industriel et agricole, privant ainsi le Soudan de devenir le grenier à blé du monde arabe. Le clivage Nord-Sud va s'accentuer lorsqu'on découvre d'importants gisements de pétrole dans la région Sud. Obsédé par l'idée que les populations sudistes puissent avoir des velléités indépendantistes, le pétrole restant un enjeu sensible géostratégique pour le gouvernement de Khartoum, le président Nemeyri décide alors un redécoupage du territoire. Une nouvelle région est crée et rattachée au pouvoir central. Des raffineries pétrolifères sont construites au Nord et le pétrole brut est acheminé vers le Port-Soudan, initiative qui creuse davantage le sentiment de spoliation parmi les populations de Sud.
Le problème sudiste existe bien avant l'indépendance. La première guerre civile commence en août 1955. Les sudistes, regroupés dans l'Anya Nya (nom d'un serpent venimeux), alors soutenus par l'Ethiopie et Israël, réclament l'indépendance de leur région. Ce conflit prend fin suite aux accords d'Addis Abeba en 1972, offrant l'autonomie aux régions du Sud, accords qui ne seront jamais respectés par la suite.
La question noire fut toujours au centre des préoccupations des autorités de Khartoum. Si la guerre civile reprend avec véhémence au début des années quatre-vingt, en réalité, les accrochages n'ont jamais cessé. Avec l'arrivée des islamistes (FNI) par un coup d'Etat dirigé par Hassan el-Touari en juin 1989, le général Omar Hassan el-Bechir est porté au pouvoir ce qui annihile tout espoir de paix. Même si, dans le passé, différentes composantes politiques étaient parvenues à songer à un certain accord, aussi fragile soit-il, il s'avéra qu'une conclusion effective de ces accords aurait éliminé de la scène politique les islamistes. Ce facteur les a donc poussés à s'emparer du pouvoir par la force.
Devant cette offensive, un groupe militaire dissident, sous les ordres du colonel John Garand, gagna l'Ethiopie et créa la Sudan People's Liberation Army (SPLA). Dès sa création, la SPLA déclare lutter pour l'instauration d'un Soudan uni et socialiste. Ce mouvement n'a jamais revendiqué un règlement de la question sudiste par une autonomie mais un règlement de l'unité soudanaise par une redéfinition du partage du pouvoir et des richesses entre les différentes ethnies. Ce mouvement contrôlait presque la totalité des provinces du Sud et disposait de soutiens en Erythrée, en Ouganda, au Zimbabwe, au Tchad et au Kenya. Il exige, entre autres, l'abolition de la loi islamique (la charia) rétablie en septembre 1983.
Ainsi, une série d'événements de nature interne et externe interviennent depuis lors et modifient le contexte politique au Soudan. D'abord, la prise de pouvoir par un islamisme intégriste et l'aide iranienne apportée dans le domaine militaire et logistique. Le soutien de la République islamique de l'Iran a comme finalité de réorganiser l'armée en créant une milice paramilitaire à l'image des pasdarans iraniens. Khartoum dispose alors de forces rééquipées matériellement et idéologiquement.
Depuis le 11 septembre 2001, le Soudan est placé sous l'oeil attentif des Etats-Unis car son gouvernement a hébergé certains sommets de l'organisation Al Qaida et participé à la mise en place de plusieurs structures financières et commerciales finançant des activités terroristes (1).
L'issue de cette longue guerre civile est aujourd'hui le drame de Darfour. Cette région de l'Ouest Soudan est parsemée par les janjaweed. Ces milices islamistes, à la solde du gouvernement de Khartoum, sont recrutées au sein des populations musulmanes nordistes composées d'islamistes fanatiques.
Ils poursuivent leurs carnages ciblés sur la population ainsi que des campagnes de viols collectifs sur les femmes et les jeunes filles des tribus noires. A cela s'ajoutent les bombardements aériens, mines antipersonnel et gaz toxiques des forces gouvernementales. Tout village ou groupe d'individus suspecté d'avoir aidé ou soutenu les rebelles subit immédiatement les représailles de cette milice. La population est retranchée dans des camps de concentration où la famine côtoie les épidémies, la condamnant à une mort certaine. Ces populations sont d'autant plus vulnérables aux assauts du gouvernement que leur territoire est pris en tenaille entre deux armées du Sud et du Nord.
Notre silence sur les agissements de ces condottieres de la mort au XXIe siècle reste pour le moins suspect et indécent.
Léa Terbach
- Pour plus d'informations : association Vigilance Soudan ().
1. "Reportedly severed financial ties with Sudan", in Saudi Arabia, janvier 2002.
Rouge 2070 24/06/2004
Retour sur un conflit oublié.
Par l'étendue de son territoire et ses frontières communes avec neufs Etats, le Soudan joue un rôle prépondérant en Afrique orientale. De nombreux groupes ethniques, culturels et linguistiques y nouent des enjeux géopolitiques dans l'affrontement entre deux mondes fort divers et opposés, installés à l'intérieur de la société soudanaise.
Le Nord arabophone et islamisé domine l'ensemble de la population tandis que dans le Sud, démographiquement moins dense, coexistent des populations noires-africaines formées par les ethnies dinka, shillouk, nubas, nuer... christianisées par les colonisateurs britanniques au XIXe siècle.
L'opposition entre les deux parties est ancienne. Jusqu'à la révolte mahiste, les autorités égyptiennes et les marchands d'esclaves arabes n'accordent guère d'importance aux populations du Sud. Par la suite, le Sud devient un réservoir d'esclaves. Trois siècles durant, ces populations sont rejetées avec cruauté et mépris par les confréries soufis, ajoutant à cet antagonisme racial un antagonisme religieux au XXe siècle.
Un guerre civile sans fin
Suite à l'indépendance de 1956, une volonté d'unifier ces deux mondes avorte. Une profonde dichotomie émerge, entravant tout essor industriel et agricole, privant ainsi le Soudan de devenir le grenier à blé du monde arabe. Le clivage Nord-Sud va s'accentuer lorsqu'on découvre d'importants gisements de pétrole dans la région Sud. Obsédé par l'idée que les populations sudistes puissent avoir des velléités indépendantistes, le pétrole restant un enjeu sensible géostratégique pour le gouvernement de Khartoum, le président Nemeyri décide alors un redécoupage du territoire. Une nouvelle région est crée et rattachée au pouvoir central. Des raffineries pétrolifères sont construites au Nord et le pétrole brut est acheminé vers le Port-Soudan, initiative qui creuse davantage le sentiment de spoliation parmi les populations de Sud.
Le problème sudiste existe bien avant l'indépendance. La première guerre civile commence en août 1955. Les sudistes, regroupés dans l'Anya Nya (nom d'un serpent venimeux), alors soutenus par l'Ethiopie et Israël, réclament l'indépendance de leur région. Ce conflit prend fin suite aux accords d'Addis Abeba en 1972, offrant l'autonomie aux régions du Sud, accords qui ne seront jamais respectés par la suite.
La question noire fut toujours au centre des préoccupations des autorités de Khartoum. Si la guerre civile reprend avec véhémence au début des années quatre-vingt, en réalité, les accrochages n'ont jamais cessé. Avec l'arrivée des islamistes (FNI) par un coup d'Etat dirigé par Hassan el-Touari en juin 1989, le général Omar Hassan el-Bechir est porté au pouvoir ce qui annihile tout espoir de paix. Même si, dans le passé, différentes composantes politiques étaient parvenues à songer à un certain accord, aussi fragile soit-il, il s'avéra qu'une conclusion effective de ces accords aurait éliminé de la scène politique les islamistes. Ce facteur les a donc poussés à s'emparer du pouvoir par la force.
Devant cette offensive, un groupe militaire dissident, sous les ordres du colonel John Garand, gagna l'Ethiopie et créa la Sudan People's Liberation Army (SPLA). Dès sa création, la SPLA déclare lutter pour l'instauration d'un Soudan uni et socialiste. Ce mouvement n'a jamais revendiqué un règlement de la question sudiste par une autonomie mais un règlement de l'unité soudanaise par une redéfinition du partage du pouvoir et des richesses entre les différentes ethnies. Ce mouvement contrôlait presque la totalité des provinces du Sud et disposait de soutiens en Erythrée, en Ouganda, au Zimbabwe, au Tchad et au Kenya. Il exige, entre autres, l'abolition de la loi islamique (la charia) rétablie en septembre 1983.
Ainsi, une série d'événements de nature interne et externe interviennent depuis lors et modifient le contexte politique au Soudan. D'abord, la prise de pouvoir par un islamisme intégriste et l'aide iranienne apportée dans le domaine militaire et logistique. Le soutien de la République islamique de l'Iran a comme finalité de réorganiser l'armée en créant une milice paramilitaire à l'image des pasdarans iraniens. Khartoum dispose alors de forces rééquipées matériellement et idéologiquement.
Depuis le 11 septembre 2001, le Soudan est placé sous l'oeil attentif des Etats-Unis car son gouvernement a hébergé certains sommets de l'organisation Al Qaida et participé à la mise en place de plusieurs structures financières et commerciales finançant des activités terroristes (1).
L'issue de cette longue guerre civile est aujourd'hui le drame de Darfour. Cette région de l'Ouest Soudan est parsemée par les janjaweed. Ces milices islamistes, à la solde du gouvernement de Khartoum, sont recrutées au sein des populations musulmanes nordistes composées d'islamistes fanatiques.
Ils poursuivent leurs carnages ciblés sur la population ainsi que des campagnes de viols collectifs sur les femmes et les jeunes filles des tribus noires. A cela s'ajoutent les bombardements aériens, mines antipersonnel et gaz toxiques des forces gouvernementales. Tout village ou groupe d'individus suspecté d'avoir aidé ou soutenu les rebelles subit immédiatement les représailles de cette milice. La population est retranchée dans des camps de concentration où la famine côtoie les épidémies, la condamnant à une mort certaine. Ces populations sont d'autant plus vulnérables aux assauts du gouvernement que leur territoire est pris en tenaille entre deux armées du Sud et du Nord.
Notre silence sur les agissements de ces condottieres de la mort au XXIe siècle reste pour le moins suspect et indécent.
Léa Terbach
- Pour plus d'informations : association Vigilance Soudan (
1. "Reportedly severed financial ties with Sudan", in Saudi Arabia, janvier 2002.
Rouge 2070 24/06/2004