Un conflit peut en cacher d’autres. C’est ce qui s’est passé entre l’Espagne et le Maroc concernant l’îlot du Persil pour les uns, Leïla pour les autres.
Après deux semaines de crise entre le Maroc et l’Espagne, l’administration Bush, soucieuse de mettre un terme à un conflit opposant ses plus fidèles alliés de Méditerrannée occidentale, a sifflé la fin du match avec le retrait des soldats espagnols qui avaient expulsé des gendarmes marocains de l’îlot de Leïla.
Le petit îlot inhabité est devenu malgré lui le symbole des enclaves espagnoles en Afrique du Nord, derniers reliquats de l’empire. Sa réoccupation symbolique par dix gendarmes marocains a permis au gouvernement Aznar l’emploi de méthodes qu’on pensait réservées au Pays basque. Déjà stigmatisé et considéré comme principal responsable de l’immigration clandestine et du trafic de drogue dans la région, le Maroc, avec sa prétention à recouvrir sa souveraineté sur les enclaves de Ceuta, Melila, etc., est vite devenu insupportable aux yeux de Madrid. Car lesdites enclaves restent considérées par l’Espagne comme un acquis stratégique non négociable en raison du contrôle de la zone de Gibraltar.
La volonté continue de se placer en partenaire économique privilégié vise selon le quotidien El Pais à rendre le royaume si dépendant que ses revendications territoriales n’en deviennent plus "rentables"... Et en tant qu’Etat pivot de l’impérialisme étatsunien, le Maroc ne s’est jamais caractérisé par ses velléités d’indépendance. Situation post-11 septembre oblige, l’occupation de l’îlot paraissait mystérieuse.
C’est une stratégie à plusieurs tiroirs qui semble avoir guidé le geste marocain: si la tension avec l’Espagne est certaine et les revendications sur ses enclaves nord-africaines légitimes, la question intérieure a joué, s’inscrivant dans un recentrage du pouvoir perceptible depuis deux années.
Le timing d’abord: la petite virée de gendarmes sur l’îlot coïncide avec le mariage en grande pompe du "souverain". Trois jours d’une fête féodale peinturlurée d’un vernis progressiste - le premier mariage public d’un monarque chérifien -, censée symboliser l’alliance d’une "monarchie populaire avec son peuple monarchique". L’occupation est venue à point pour resserrer l’opinion derrière le palais.
La situation du Sahara occidental1 a sans doute joué, le Maroc voulant souligner son caractère inviolable. Mais la question, à l’extérieur du moins, reste à minorer: si l’Espagne suscite régulièrement le courroux marocain par son attachement au plan de l’ONU (réferundum d’autodétermination), sa position est loin d’être majoritaire au sein de l’Union européenne et, surtout, ce plan a été victime d’un enterrement de première classe par la mission étatsunienne de James Baker, préconisant une autonomie de ce territoire dans le cadre de la monarchie et éloignant à moyen terme tout scrutin.
Mais la perspective d’une fin de conflit est porteuse de dangers certains pour l’appareil sécuritaire, tant cette région est devenue une rente de situation en maintenant la légitimité de l’entretien d’un effectif de 200 000 hommes. Or l’armée est en position de force au sein de la société marocaine. Elle est la seule à même de contenir d’éventuels soulèvements ou émeutes populaires. Le manque de légitimité de l’échiquier politique leur permet de s’ingérer de plus en plus dans la vie quotidienne.
Ainsi un axe existe entre deux anciens frères ennemis qui semble s’affermir depuis deux ans. Le Parti sécuritaire et l’USFP (au pouvoir) se rejoignent pour trouver un débouché extérieur à leur faillite interne, le tout s’accompagnant d’une légitimisation à marche forcée de l’institution militaire. Il ne se passe pas une semaine sans que l’on se découvre (ou redécouvre) des ennemis: Front polisario, Algérie, Espagne... jusqu’à l’Afrique du Sud et l’Union Africaine dont l‘essence même serait de porter "atteinte à la l’intégrité nationale"! (Maroc hebdo). Ajoutons à cela une problématique plus immédiate: à la veille d’échéances électorales, l’USFP a-t-elle voulu, à travers une réthorique va-t-en guerre, contrer l’influence montante des islamistes qui multiplient les démonstrations de force à l’occasion de chaque manifestation de soutien à la Palestine ?
Frédéric Adaoui
(1.) Ancienne colonie espagnole envahie par le Maroc. Le Front polisario se bat pour l’indépendance.
Après deux semaines de crise entre le Maroc et l’Espagne, l’administration Bush, soucieuse de mettre un terme à un conflit opposant ses plus fidèles alliés de Méditerrannée occidentale, a sifflé la fin du match avec le retrait des soldats espagnols qui avaient expulsé des gendarmes marocains de l’îlot de Leïla.
Le petit îlot inhabité est devenu malgré lui le symbole des enclaves espagnoles en Afrique du Nord, derniers reliquats de l’empire. Sa réoccupation symbolique par dix gendarmes marocains a permis au gouvernement Aznar l’emploi de méthodes qu’on pensait réservées au Pays basque. Déjà stigmatisé et considéré comme principal responsable de l’immigration clandestine et du trafic de drogue dans la région, le Maroc, avec sa prétention à recouvrir sa souveraineté sur les enclaves de Ceuta, Melila, etc., est vite devenu insupportable aux yeux de Madrid. Car lesdites enclaves restent considérées par l’Espagne comme un acquis stratégique non négociable en raison du contrôle de la zone de Gibraltar.
La volonté continue de se placer en partenaire économique privilégié vise selon le quotidien El Pais à rendre le royaume si dépendant que ses revendications territoriales n’en deviennent plus "rentables"... Et en tant qu’Etat pivot de l’impérialisme étatsunien, le Maroc ne s’est jamais caractérisé par ses velléités d’indépendance. Situation post-11 septembre oblige, l’occupation de l’îlot paraissait mystérieuse.
C’est une stratégie à plusieurs tiroirs qui semble avoir guidé le geste marocain: si la tension avec l’Espagne est certaine et les revendications sur ses enclaves nord-africaines légitimes, la question intérieure a joué, s’inscrivant dans un recentrage du pouvoir perceptible depuis deux années.
Le timing d’abord: la petite virée de gendarmes sur l’îlot coïncide avec le mariage en grande pompe du "souverain". Trois jours d’une fête féodale peinturlurée d’un vernis progressiste - le premier mariage public d’un monarque chérifien -, censée symboliser l’alliance d’une "monarchie populaire avec son peuple monarchique". L’occupation est venue à point pour resserrer l’opinion derrière le palais.
La situation du Sahara occidental1 a sans doute joué, le Maroc voulant souligner son caractère inviolable. Mais la question, à l’extérieur du moins, reste à minorer: si l’Espagne suscite régulièrement le courroux marocain par son attachement au plan de l’ONU (réferundum d’autodétermination), sa position est loin d’être majoritaire au sein de l’Union européenne et, surtout, ce plan a été victime d’un enterrement de première classe par la mission étatsunienne de James Baker, préconisant une autonomie de ce territoire dans le cadre de la monarchie et éloignant à moyen terme tout scrutin.
Mais la perspective d’une fin de conflit est porteuse de dangers certains pour l’appareil sécuritaire, tant cette région est devenue une rente de situation en maintenant la légitimité de l’entretien d’un effectif de 200 000 hommes. Or l’armée est en position de force au sein de la société marocaine. Elle est la seule à même de contenir d’éventuels soulèvements ou émeutes populaires. Le manque de légitimité de l’échiquier politique leur permet de s’ingérer de plus en plus dans la vie quotidienne.
Ainsi un axe existe entre deux anciens frères ennemis qui semble s’affermir depuis deux ans. Le Parti sécuritaire et l’USFP (au pouvoir) se rejoignent pour trouver un débouché extérieur à leur faillite interne, le tout s’accompagnant d’une légitimisation à marche forcée de l’institution militaire. Il ne se passe pas une semaine sans que l’on se découvre (ou redécouvre) des ennemis: Front polisario, Algérie, Espagne... jusqu’à l’Afrique du Sud et l’Union Africaine dont l‘essence même serait de porter "atteinte à la l’intégrité nationale"! (Maroc hebdo). Ajoutons à cela une problématique plus immédiate: à la veille d’échéances électorales, l’USFP a-t-elle voulu, à travers une réthorique va-t-en guerre, contrer l’influence montante des islamistes qui multiplient les démonstrations de force à l’occasion de chaque manifestation de soutien à la Palestine ?
Frédéric Adaoui
(1.) Ancienne colonie espagnole envahie par le Maroc. Le Front polisario se bat pour l’indépendance.