Alors que Laurent Gbagbo et le gouvernement français se sont officiellement réconciliés, le 25 mars, une marche organisée par l'opposition ivoirienne signataire des accords de Marcoussis a été réprimée dans le sang.
Quinze mois après la signature des accords de Marcoussis (1), la paix n'a pas accompagné la fin des combats entre les Forces armées nationales de Côte-d'Ivoire (Fanci) et leurs supplétifs - fidèles au chef de l'Etat, Laurent Gbagbo - et les rebelles, dits Forces nouvelles - dirigés par Guillaume Soro et Ibrahim Coulibaly. Les dissensions au sein du gouvernement de réconciliation nationale sur l'interprétation des dits accords ont alimenté la violence, en voie de banalisation, surtout depuis le déclenchement de la guerre en septembre 2002. Le dernier acte de cette tragédie ivoirienne a été la répression de la marche du 25 mars. Organisée à Abidjan par l'opposition signataire des accords de Marcoussis, elle revendiquait le respect intégral de ceux-ci par la fraction du chef de l'Etat ivoirien. Le rapport - non publié officiellement - de la mission d'enquête de l'ONU à Abidjan ferait état de 120 morts et accablerait particulièrement le camp présidentiel.
Par ailleurs, les récentes déclarations de Guillaume Soro, exigeant la démission de Laurent Gbagbo comme condition du désarmement des Forces nouvelles et évoquant l'hypothèse de la sécession, semblent augurer de l'échec de l'opération des Nations unies en Côte-d'Ivoire (Onuci). Sans doute une surenchère exprimant la conscience d'un probable sacrifice à l'autel des intérêts néocoloniaux françafricains, par une partie des soutiens "extérieurs" de la rébellion.
Du côté africain, il a été question du déplacement de la base arrière des Forces nouvelles du Burkina Faso vers le Mali, démenti par le gouvernement malien. Alors que du côté métropolitain, un certain réalisme a fini, semble t-il, par l'emporter en faveur du camp du président ivoirien.
S'étant suffisamment réarmé et ayant acquis une marge considérable d'autonomie relative en consolidant ses relations extra françafricaines (avec les capitaux des Etats-Unis, d'Israël, de la Chine, du Canada...), Laurent Gbagbo a pu se réconcilier avec certains réseaux métropolitains en concluant des affaires très juteuses - pour Bolloré, Bouygues, Seillières -, en confirmant à Alliot-Marie la poursuite de la coopération militaire avec l'Etat français. Car la fronde de Laurent Gbagbo ne s'était pas accompagnée d'une abrogation de l'accord de défense signé en avril 1961 avec, d'un côté, le Dahomey, le Niger, la Côte-d'Ivoire et, de l'autre, la France. Et dont une des dispositions annexes stipulait le statut privilégié de la France en matière de partenariat économique stratégique, que Laurent Gbagbo avait pragmatiquement tenté de relativiser...
Cette réconciliation est symbolisée par la création en janvier, à la veille de la visite officielle en France de Laurent Gbagbo, du si évocateur Cercle d'amitié pour le soutien au renouveau des relations franco-ivoiriennes (Carfi), un lobby patronal franco-ivoirien pro-Gbagbo. D'autre part, un compromis entre les différentes fractions de l'oligarchie ivoirienne est toujours recherché. Il serait même question d'une pression de la diplomatie française sur Alassane Dramane Ouattara pour sa non-candidature aux élections de 2005. Quitte à ce qu'il y ait retour au pouvoir de Konan Bédié, actuellement allié à Ouattara.
La sévère répression de la manifestation du 25 mars est aussi une démonstration, par Gbagbo, des nouveaux rapports de forces militaires, appelant ainsi ses rivaux à accepter son statut de maître de cérémonies du partage du gâteau néocolonial néolibéral. Car, comme bon nombre de ses pairs de l'Internationale socialiste, Laurent Gbagbo n'est plus qu'un partisan du néolibéralisme.
Malgré le climat de violence, d'insécurité, les syndicats des salariés et des étudiants usent de l'arme de la grève face à l'indifférence de l'Etat et des patrons à leurs revendications sociales. Sous la guerre continue une lutte des classes moléculaire. Mais, comme dans la majorité des sociétés africaines, il n'existe pas de véritable pôle alternatif à la classe politique néocoloniale, malgré l'existence de petites organisations de tradition stalinienne, maoïste. Il ne saurait y avoir dans le cadre néocolonial, de surcroît néolibéral, de sortie de crise favorable au peuple de Côte-d'Ivoire.
Jean Nanga
1. Pour une analyse du conflit ivoirien, lire Inprecor n° 478/479, janv.-fév. 2003.
Rouge 2064 13/05/2004
Quinze mois après la signature des accords de Marcoussis (1), la paix n'a pas accompagné la fin des combats entre les Forces armées nationales de Côte-d'Ivoire (Fanci) et leurs supplétifs - fidèles au chef de l'Etat, Laurent Gbagbo - et les rebelles, dits Forces nouvelles - dirigés par Guillaume Soro et Ibrahim Coulibaly. Les dissensions au sein du gouvernement de réconciliation nationale sur l'interprétation des dits accords ont alimenté la violence, en voie de banalisation, surtout depuis le déclenchement de la guerre en septembre 2002. Le dernier acte de cette tragédie ivoirienne a été la répression de la marche du 25 mars. Organisée à Abidjan par l'opposition signataire des accords de Marcoussis, elle revendiquait le respect intégral de ceux-ci par la fraction du chef de l'Etat ivoirien. Le rapport - non publié officiellement - de la mission d'enquête de l'ONU à Abidjan ferait état de 120 morts et accablerait particulièrement le camp présidentiel.
Par ailleurs, les récentes déclarations de Guillaume Soro, exigeant la démission de Laurent Gbagbo comme condition du désarmement des Forces nouvelles et évoquant l'hypothèse de la sécession, semblent augurer de l'échec de l'opération des Nations unies en Côte-d'Ivoire (Onuci). Sans doute une surenchère exprimant la conscience d'un probable sacrifice à l'autel des intérêts néocoloniaux françafricains, par une partie des soutiens "extérieurs" de la rébellion.
Du côté africain, il a été question du déplacement de la base arrière des Forces nouvelles du Burkina Faso vers le Mali, démenti par le gouvernement malien. Alors que du côté métropolitain, un certain réalisme a fini, semble t-il, par l'emporter en faveur du camp du président ivoirien.
S'étant suffisamment réarmé et ayant acquis une marge considérable d'autonomie relative en consolidant ses relations extra françafricaines (avec les capitaux des Etats-Unis, d'Israël, de la Chine, du Canada...), Laurent Gbagbo a pu se réconcilier avec certains réseaux métropolitains en concluant des affaires très juteuses - pour Bolloré, Bouygues, Seillières -, en confirmant à Alliot-Marie la poursuite de la coopération militaire avec l'Etat français. Car la fronde de Laurent Gbagbo ne s'était pas accompagnée d'une abrogation de l'accord de défense signé en avril 1961 avec, d'un côté, le Dahomey, le Niger, la Côte-d'Ivoire et, de l'autre, la France. Et dont une des dispositions annexes stipulait le statut privilégié de la France en matière de partenariat économique stratégique, que Laurent Gbagbo avait pragmatiquement tenté de relativiser...
Cette réconciliation est symbolisée par la création en janvier, à la veille de la visite officielle en France de Laurent Gbagbo, du si évocateur Cercle d'amitié pour le soutien au renouveau des relations franco-ivoiriennes (Carfi), un lobby patronal franco-ivoirien pro-Gbagbo. D'autre part, un compromis entre les différentes fractions de l'oligarchie ivoirienne est toujours recherché. Il serait même question d'une pression de la diplomatie française sur Alassane Dramane Ouattara pour sa non-candidature aux élections de 2005. Quitte à ce qu'il y ait retour au pouvoir de Konan Bédié, actuellement allié à Ouattara.
La sévère répression de la manifestation du 25 mars est aussi une démonstration, par Gbagbo, des nouveaux rapports de forces militaires, appelant ainsi ses rivaux à accepter son statut de maître de cérémonies du partage du gâteau néocolonial néolibéral. Car, comme bon nombre de ses pairs de l'Internationale socialiste, Laurent Gbagbo n'est plus qu'un partisan du néolibéralisme.
Malgré le climat de violence, d'insécurité, les syndicats des salariés et des étudiants usent de l'arme de la grève face à l'indifférence de l'Etat et des patrons à leurs revendications sociales. Sous la guerre continue une lutte des classes moléculaire. Mais, comme dans la majorité des sociétés africaines, il n'existe pas de véritable pôle alternatif à la classe politique néocoloniale, malgré l'existence de petites organisations de tradition stalinienne, maoïste. Il ne saurait y avoir dans le cadre néocolonial, de surcroît néolibéral, de sortie de crise favorable au peuple de Côte-d'Ivoire.
Jean Nanga
1. Pour une analyse du conflit ivoirien, lire Inprecor n° 478/479, janv.-fév. 2003.
Rouge 2064 13/05/2004